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    "On a l'impression d'avoir de vrais souvenirs, comme si c'était vraiment arrivé" : ce nouveau film fascinant plonge dans l'univers des mondes en ligne
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    170 heures de rushes à la rencontre des joueurs survivants d'un monde postapocalyptique en ligne : c'est l'étonnante proposition du documentaire "Knit's Island", actuellement au cinéma.

    Les univers vidéoludiques en gigantesques mondes ouverts, parfois naturalistes et hypnotiques comme le western Red Dead Redemption 2, ou totalement urbain à l'image de GTA V, véritable pendant vidéoludique de la ville de Los Angeles, ont aussi fait naître dans leurs sillages le désir de nombreux artistes, photographes ou cinéastes par exemple, de justement découvrir et s'immerger dans ces oeuvres, comme autant de matières de recherches pour leurs créations.

    Que ce soit pour leurs environnements naturels ou urbains, ou, bien entendu, pour leurs communautés de joueurs, capables de passer des centaines d'heures dans leurs univers favoris.

    Guilhem Causse, Ekiem Barbier et Quentin L’helgoualc’h se rencontrent lors de leurs études aux Beaux-Arts de Montpellier. En 2016, ils forment un groupe de recherche qui questionne le rapport au réel dans les jeux vidéo en ligne. En 2017 ils s’essayent à une première exploration documentaire dans le jeu GTA V Online et réalisent le moyen-métrage Marlowe Drive, qu’ils diffusent à l’occasion d’une exposition rétrospective sur le cinéma de David Lynch au centre d’art de Montpellier.

    Vendre très chèrement sa peau

    A l'oeuvre de ce Knit's island, le trio pose cette fois-ci ses valises sur une île absolument gigantesque, de 250 Km². Il faut parfois des heures pour se déplacer à pied d'un point à un autre, surtout quand on a pas de véhicule à conduire. Un territoire hostile dans lequel des individus se regroupent en communauté pour simuler une fiction survivaliste. Sous les traits d’avatars, le trio de réalisateurs pénètre ce lieu et entrent en contact avec des joueurs.

    Un lieu que les joueurs les plus chevronnés reconnaîtront certainement. C'est l'univers fascinant et désolé du jeu DayZ. Sorti en 2013, il place les joueurs et les joueuses dans un monde postapocalyptique zombie, où une épidémie mystérieuse a transformé la plupart de la population en êtres infectés agressifs.

    NORTE DISTRIBUTION

    Son univers est absolument impitoyable et parfaitement punitif. En bon et pur Survival, il faut se soigner, manger, dormir, construire et aménager des abris, lutter contre les zombies qui infestent l'île. Et surtout, se préparer à vendre chèrement sa peau face aux autres joueurs. La quête de matériel de survie (armes, armure...) devient une quête du Graal.

    Se prendre une balle mal placée signifie la mort permanente... Et la perte de tout son équipement. Retour à la case départ. De quoi allègrement ruiner des centaines d'heures passées dessus. Et surtout de quoi souder aussi des joueurs entre eux, qui forment justement des communautés et s'entraident.

    "On a l'impression d'avoir de vrais souvenirs, comme si c'était vraiment arrivé"

    Pour pouvoir produire la fascinante matière de leur sujet, qui relève presque d'une étude sociologique, les réalisateurs se sont immergés dans cet univers durant des centaines d'heures, débouchant au final sur 170h de rushs.

    DayZ est un jeu qui incite à la pratique du jeu de rôle, chaque personnage a sa propre histoire qui évolue au gré de l’imagination du joueur. Les personnes rencontrées dans Knit's Island se dévoilent sans sortir de leurs personnages, ou alors très rarement. Ici, un personnage croisé en pleine nuit leur apprenant à se repérer en lisant la carte du ciel grâce à la position de la Grande Ourse.

    Là, la rencontre avec un groupe d'anarchistes qui s'est baptisé "les Ombres de la nuit", mené par une femme, qui lâche dans son micro : "on a tous des origines différentes, mais on a un point commun : on aime tuer. Tuer des gens, c'est amusant. Certains les mangent aussi".

    Plus loin, c'est une communauté de joueurs et joueuses qui prônent la non violence, plus soucieuse de faire pousser des légumes dans ses potagers que d'éradiquer la menace des zombies ou de lutter contre des joueurs hostiles, en tentant de vivre comme dans un bunker.

    NORTE DISTRIBUTION

    Et que dire de cet avatar habillé comme dans un western, révérend d'une église à tendance lovecraftienne baptisée "église de Dagoth" ? Comment s'y prend-t-il pour survivre ? "Je pense qu'on a tous différentes influences de films d'apocalypse, de zombies" commente le joueur derrière son micro. "Certains aiment jouer les méchants, d'autres les loups solitaires. C'est comme un long film ici". Il ajoute : "Après plusieurs péripéties, on a l'impression d'avoir de vrais souvenirs, comme si c'était vraiment arrivé".

    "Beaucoup de joueurs insistent sur le côté contemplatif du jeu. On a l’impression qu’il devient même un substitut pour certains d’entre eux à des balades dans la nature ou à des moments de détente" commente Ekiem Barbier, l'un des réalisateurs. Pas forcément non plus de quoi leur faire perdre pied avec la réalité, comme on aurait tendance à le penser, par facilité et paresse intellectuelle.

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