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    Sandrine Kiberlain, du cinéma à la chanson : interview

    A l'occasion de la sortie lundi 14 mars de son premier album "Manquait plus qu'ça...", rencontre avec Sandrine Kiberlain, une comédienne qui ne manque pas d'airs...

    Une actrice qui enregistre un disque... "On connait la chanson", diront les grincheux. Sauf qu'entre Sandrine Kiberlain et la musique, c'est une longue histoire : celle qu'on a entendu fredonner dans les films de Laetitia Masson a déjà donné de la voix lors des concerts des Restos du coeur, et écrit des textes pour Hallyday et Pagny. Mais c'est en disciple d'Alain Souchon (compositeur des musiques, avec son fils Pierre et Camille Bazbaz) que se pose la comédienne sur son premier album, Manquait plus qu'ça, dont elle signe tous les textes : mélancolie et autodérision sont en effet au menu de ce disque délicat à l'humeur vagabonde, dans les bacs le lundi 14 mars. Au terme de la conversation d'AlloCiné avec Sandrine Kiberlain, on s'aperçoit que la chanson n'est pas pour l'actrice un petit jeu sans conséquence : on se rapprocherait même plutôt du Septième Ciel...

    AlloCiné : Dans "En avoir (ou pas)", le film qui vous a révélée en 1995, vous chantiez déjà : du Marianne Faithfull pour un entretien d'embauche, et "Di doo dah" lors d'une soirée entre amis. On imagine que ce n'est pas facile pour une jeune actrice de chanter devant la caméra...

    Sandrine Kiberlain : Pour moi, ça l'était. En plus, ça servait l'intrigue. En plein entretien d'embauche, on demande à cette fille de chanter : c'est très violent. On ne chante pas sur commande, surtout quand, comme le personnage, on a vraiment envie de chanter. C'est comme si on demandait à un acteur de rejouer une scène sur une estrade. Du coup, je me suis servie de cette timidité du personnage pour oser le faire moi-même. Et puis Laetitia Masson a très vite compris que la chanson faisait partie de ma vie.

    Dans ce même film, votre personnage se définit comme une "girafe", et sur le titre qui ouvre votre album, vous vous qualifiez de "godiche". Vous cultivez l'autodérision...

    C'est une nature, on ne se refait pas... Pour nourrir le personnage, Laetitia m'avait soumis un questionnaire. Elle m'avait entre autres demandé de m'identifier à un animal. J'ai alors pensé à ce qu'on me disait quand j'étais petite : la girafe. C'était une façon de parler de moi avec recul et dérision, c'est une forme de politesse. Quant à la "godiche", c'est le regard que quelqu'un a eu sur moi. Ce terme péjoratif est devenu un mot d'amour. Il y a l'idée de gaucherie, mais j'ai aimé qu'on m'appelle comme ça, je me suis sentie comprise et valorisée. Et c'est aussi dans la façon de le dire... Mais c'est vrai que je préfère parler de moi comme d'une girafe ou une godiche que comme d'une fleur ou une étoile.

    A l'époque d' "En avoir (ou pas)", aviez-vous déjà l'idée vague de faire de la chanson un jour ?

    J'ai toujours eu cette idée "vague", comme vous dites. Peu à peu, les choses se précisent. Si j'ai participé aux Restos du Coeur, c'était pour la bonne cause, mais j'y ai aussi pris beaucoup de plaisir. J'écrivais depuis longtemps, mais quand on m'a demandé un texte pour Johnny, c'est devenu plus concret. Je me suis dit que je pourrais écrire pour moi aussi, faire une introspection. Il y a cinq ans, sur le film de Miller [Betty Fisher et autres histoires], je commençais vraiment à saouler tout le monde, et j'ai décidé de prendre des cours de chant. Il y a trois ans, je me suis mise à écrire dans l'optique de faire un disque.

    Récemment, de nombreuses actrices ont enregistré des albums : Balibar, Delpy, Huppert, Rampling, Mastroianni... La chanson est-elle un prolongement du métier de comédienne ?

    Je ne crois pas. Simplement, ça fait rêver tout le monde. Le chant, c'est une telle liberté. La voix est ce qu'il y a de plus intime, de plus personnel. Pour toutes ces actrices, il s'agit peut-être d'aller encore plus loin dans l'interprétation... Mais pour moi, ce n'est pas un prolongement : ca m'est indispensable depuis longtemps. A un moment, c'est devenu vital de faire cet album, quitte à mettre entre parenthèses le cinéma pendant un moment. J'aimerais bien aussi faire de la scène, même si c'est avec la peur au ventre... Et puis, à la différence de la plupart des comédiennes, j'ai écrit les textes. C'était une volonté d'affirmer mon univers, de ne plus être un porte-parole, comme au cinéma.

    Aviez-vous des exigences particulières concernant la musique ?

    Oui. J'aurais aimé qu'aucun musicien ne soit connu, parce que j'avais vraiment peur de pas être crédible. Je ne voulais pas avoir l'air sponsorisée par Souchon. J'étais très à cheval sur mes envies d'instruments, de rythmes. A Camille Bazbaz, j'ai parlé de mon désir d'insuffler un esprit romanesque, cinématographique. A Alain et Pierre Souchon, j'ai parlé de mon envie de mélodies accessibles, mais avec aussi une profondeur. Je voulais des instruments dont ils n'avaient pas l'habitude comme le xylophone, le bouzouki, et ils ont respecté ces envies.

    Depuis quelques années, la chanson est très présente dans le cinéma français : il y a eu bien sûr "On connaît la chanson", mais aussi "Love me", "Podium", "8 femmes", bientôt "Les mots bleus"... Comment expliquez-vous ce phénomène ?

    Je crois qu'on ne s'est jamais remis des films de Demy. On essaie tous de retrouver ça. Qui n'aime pas les comédies musicales ? La musique, c'est le sommet de l'émotion, le cinéma en a besoin pour toucher les gens. Il y a des cinéastes, comme Laetitia, qui savent très bien l'utiliser. Dans son film, Resnais a choisi les morceaux incontournables, et mis l'accent sur ce que les gens ressentent profondément : on vit tous avec Aznavour, Barbara... Ce qui était beau dans ce film, c'est que toutes les situations avaient un rapport direct avec des chansons. Dans la vie, certains titres sont comme des madeleines de Proust.

    Ecoutez-vous de la musique pour préparer un rôle ?

    Oui. Pour les films de Laetitia, j'écoutais beaucoup les musiques dont elle se servait : sur En avoir (ou pas), c'était Faithfull en boucle. Sur A vendre, j'écoutais Arno, Leonard Cohen. La musique, c'est comme le prénom du personnage : ça évoque toute une histoire. Un personnage qui s'appelle Alice n'est pas comme celui qui s'appelle France. De même, une musique de Björk est plus violente qu'une musique de Françoise Hardy. Je suis très inspirée par la musique. De toute façon, il n'y a rien de mieux...

    Dans "La Femme d'à côté", Fanny Ardant dit : "J'écoute uniquement les chansons parce qu'elles disent la vérité. Plus elles sont bêtes, plus elles sont vraies". Qu'en pensez-vous ?

    Les chansons qui nous émeuvent sont celles qui arrivent à dire ce qu'on ressent profondément avec des mots simples. Il y en a tellement qui me touchent...: La Chanson de Prévert et L'Aquoiboniste de Gainsbourg, L'amour en fuite et Port-Bail de Souchon. Et Le Mal de vivre de Barbara, ça a dû raconter des choses à plein de gens.

    Quel serait votre Top 5 des "chansons d'actrices" ?

    Ma préférence absolue, ce sont les chansons des Demoiselles de Rochefort. En deuxième position, J'ai la mémoire qui flanche de Jeanne Moreau. A la troisième place, je dirais Jane B. Il y a des belles choses aussi chez Anna Karina. C'est souvent du Gainsbourg... Il y a aussi une très belle chanson de Chiara Mastroianni mais j'ai oublié le titre. J'aime aussi beaucoup quand Deneuve chante, je trouve que ça lui va bien.

    Le fait d'avoir écrit ces textes a-t-il suscité d'autres envies d'écriture, par exemple celle d'un film ?

    Pas du tout, j'en serais incapable. J'ai beaucoup d'admiration pour ceux qui arrivent à écrire des dialogues, des situations longues, des descriptions. Moi, j'ai vraiment besoin d'une forme brève, d'aller à l'essentiel. La chanson, c'est un raccourci.

    Propos recueillis par Julien Dokhan le 8 mars 2005

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