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    "Moi, toi et tous les autres" : rencontre avec Miranda July

    Allociné a rencontré l'Américaine Miranda July, réalisatrice de "Moi, toi et tous les autres", un premier film frais et insolite qui, après avoir enchanté la Croisette, sort en salles ce 21 septembre...

    Une artiste candide, un vendeur de chaussures esseulé, deux ados effrontées, un poisson rouge... Tels sont quelques-uns des personnages qui peuplent Moi, toi et tous les autres, film-mosaïque signé Miranda July, une Américaine de 30 ans qui s'était déjà fait un nom dans le monde de l'art contemporain. Primée à Sundance et auréolée de la très convoitée Caméra d'Or, qui récompense à Cannes le meilleur premier film toutes sections confondues, cette oeuvre très personnelle arrive sur nos écrans ce mercredi 21 septembre. Aussi séduisante et attachante que son film, l'actrice-réalisatrice répond aux questions d'AlloCiné.

    AlloCiné : Quel a été votre parcours jusqu'à ce premier long métrage?

    Miranda July : Adolescente, j'entretenais une correspondance avec un homme emprisonné pour meurtre. Cette relation par lettres était si intense, et aliénante, que j'avais besoin d'en parler d'une manière ou d'une autre. A partir de ces écrits, j'ai donc conçu un spectacle avec des poupées qui jouaient tous les rôles. Je l'ai présenté dans des petits clubs punk, les seules salles auxquelles j'avais alors accès. C'était bien de commencer ainsi, très jeune, et avec un vrai public, pas de façon scolaire. Après mes études, j'ai fait des performances, des courts métrages. Tout ça s'est enchaîné de façon naturelle, je suis passée du monde du rock indépendant à celui de l'art et du cinéma. Tourner un long métrage était une nouvelle étape de ce processus, même si bien sûr c'est un sacré saut sur le plan logistique. Mais j'avais cette idée dans un coin de ma tête depuis longtemps.

    Le film témoigne de votre goût pour l'art contemporain, la musique, mais on note peu de références cinéphiles. Vous sentez-vous proche de certains réalisateurs actuels ?

    On me rapproche souvent de Todd Solondz. Ca me ravit, parce que c'est l'exemple de quelqu'un qui fait exactement ce qu'il veut, ne cède sur rien. J'apprécie aussi Charlie Kaufman. Venant du cinéma expérimental, ça m'intéresse de voir qu'on peut, comme lui, intégrer des éléments expérimentaux à une approche plus commerciale. Je regrette simplement qu'il y ait si peu de femmes dans ce mouvement : une fois qu'on a cité Sofia Coppola...

    Et concernant les cinéastes du passé ?

    Je dois confesser que je n'ai pas une vaste culture cinématographique. Néanmoins, j'ai une grande admiration pour une réalisatrice qui est encore en activité, Agnès Varda. J'ai été influencée, peut-être inconsciemment, par Le Petit amour [titre sous lequel Kung-Fu Master est sorti à l'étranger...]. J'avais été très troublée par la manière dont elle racontait cette histoire d'amour entre un garçon de 14 ans et une femme mûre [incarnée par Jane Birkin]. Je n'en croyais pas mes yeux, je me disais : "C'est très français, après tout c'est peut-être comme ça que les choses se passent là-bas..." (rires) C'était si doux, sans jugement.

    Traiter de sujets scabreux, mais avec innocence, c'est aussi ce que vous avez fait dans "Moi, toi et tous les autres". Il y est question de la sexualité des enfants.

    Cette innocence est liée au fait que je me place du point de vue de l'enfant. C'est le petit Robby qui invente lui-même tout ce vocabulaire sexuel lors d'un chat sur internet. C'est donc absurde de voir sur l'affiche la mention Rated R [interdits aux - de 17 ans non accompagnés], en raison d'un "contenu sexuel perturbant, impliquant des enfants", ce qui laisse entendre que des enfants sont abusés... Là, ce sont les enfants eux-mêmes qui sont les inventeurs de ce "contenu sexuel" !

    Diriger des enfants est, selon certains cinéastes, une des choses les plus difficiles. Qu'en pensez-vous ?

    Je crois que les enfants m'ont fait ressortir le meilleur de moi. Je suis toujours si curieuse des enfants... Tenez, là, par exemple, je vois un enfant passer derrière vous, eh bien je ne peux pas m'empêcher de le regarder, pour voir ce qu'il fait. Je suis totalement déconcentrée ! J'aimerais être aussi curieuse avec tous mes acteurs, m'intéresser à ce qu'ils pensent, ce qu'ils ressentent. Mais je crois qu'avec les adultes, je suis plus timide. Avec les enfants, il y a une compréhension intuitive. Je pense notamment à l'enfant de 6 ans. Il était très concentré sur le plateau. Techniquement, c'est un génie, et puis il a ce visage très charismatique.

    Vous filmez des personnages aux profils très variés, des enfants aux vieillards en passant par les trentenaires...

    Mon idée, c'était qu'en abordant de toutes petites choses, des détails, je parlais en fait du monde entier. Je voulais donner à mon film ce côté kaleïdoscope. Cela passait par l'écriture des personnages (je veillais à ce que des individus très différents soient représentés), mais aussi par le style visuel ou la musique [la bande originale, composée par Michael Andrews, est dans les bacs depuis le 19 septembre].

    Qu'a représenté, pour vous qui avez longtemps travaillé de façon solitaire, une expérience collective telle que le tournage d'un long métrage ?

    Je savais que j'avais le final cut, je n'avais pas de pression d'un studio. Mais j'étais très inquiète : allais-je parvenir à faire vraiment "mon truc" ? Ce qui me réjouit quand je vois le film aujourd'hui, c'est que je m'y retrouve tout autant que dans tout ce que j'ai pu faire avant, et peut-être même encore plus. Ca m'a soulagée de constater que je pouvais encore exprimer ma créativité à travers ce medium.

    Le ton du film est léger, souvent humoristique. Mais ce que vous dites de la société américaine dénote un certain pessimisme...

    Je ne sais pas si le film est pessimiste. Ce que je souhaitais, c'était ne pas porter de jugement sur les uns et les autres. C'est vrai qu'il y a de la tristesse, mais malgré tout, il y a quand même une lumière qui traverse tout ça. Si j'ai choisi de parler de l'Amérique, c'est parce que c'est le pays que je connais le mieux, mais j'espère que le film a une certaine universalité. Là-bas, évidemment, certains spectateurs disent qu'ils ont l'impression de voir un film étranger...

    Dans le film, vous vous montrez plutôt critique concernant Internet. En même temps, en tant qu'artiste, vous avez conçu plusieurs oeuvres sur le Web. Quelle est votre position sur ces nouvelles technologies ?

    J'ai toujours aimé aller à la rencontre de gens que je ne connais pas. J'ai toujours été comme ça, donc Internet est un medium parfait pour moi. J'en connais aussi les limites. Il manque bien sûr quelque chose dans ce type de relation, à commencer par le regard. Mais j'aime avoir différents types de contacts avec les gens. Créer une oeuvre, pour moi, c'est comme faire un signe à la fenêtre ou envoyer un e-mail, ce qui est différent de s'asseoir avec quelqu'un... Il y a une limite : je vais vers les gens, mais je ne les serre pas dans mes bras... Dans ce film, c'était important pour moi de parler de gens qui se rencontrent, mais sans vraiment se rencontrer. C'est quelque chose qui résonne très fort en moi.

    En faisant un film aussi personnel, de façon quasi-artisanale, vous n'imaginiez sans doute pas un tel accueil, notamment à Cannes. Comment l'avez-vous vécu ?

    Au début, je pensais que je serais incapable de m'exposer ainsi. Et puis bon, on est obligé de prendre de la distance. Mais même à Cannes, je n'ai pas pu voir le film en entier. Il est très intime, donc c'est difficile pour moi de le voir, ça me rappelle tout mon passé. Par ailleurs, j'ai reçu énormement de lettres et d'e-mails de spectateurs. Au départ je pensais les garder, mais finalement j'ai été obligé de les jeter, et au fond, je crois que c'est plus sain.

    Recueilli par Julien Dokhan

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