Mon compte
    "Shérif Jackson" : le western déjanté des frères Miller [INTERVIEW]

    Présenté en compétition lors du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville, "Shérif Jackson" a emballé le public, autant pour son contenu que la personnalité de ses réalisateurs, les jumeaux Logan et Noah Miller, venus avec une sacrée dose d'enthousiasme dans leurs bagages.

    Noah & Logan Miller - © Maximilien Pierrette/Allociné

    Même visage, même carrure, même taille, même voix, même couleur et longueur de cheveux : Logan et Noah Miller sont de vrais jumeaux, pas de doute là-dessus. De sacrés personnages aussi, nous prévient-on à Deauville, où ils sont venus présenter Shérif Jackson, leur second long métrage. Chose qu'on ne tarde pas à constater, tant sur la scène qu'en interview : l'un commence les phrases et l'autre les finit, puis ils inversent les rôles, parlent exactement en même temps. Bref, une rencontre aussi rock'n'roll que leur film.

    Allociné : Le public a plutôt bien réagi pendant la projection du film. Comment vous sentiez-vous ?

    Noah Miller : Nerveux au début, puis très heureux ensuite. On ne sait jamais comment les choses vont passer auprès des gens, et notamment l'humour...

    Logan Miller : ... mais ça a fonctionné !

    Etiez-vous moins nerveux que dans les autres festivals, tels que celui de Sundance, où vous avez montré le film auparavant ?

    Noah Miller : Oui et non. Il y a un humour très noir et des choses vraiment délirantes dans le film. Nous savions que ça allait fonctionner auprès du public américain, et ça a été le cas, au-delà de nos espérances même. Nous étions confiants ici aussi, mais nous ne pouvions pas savoir si nous aurions affaire à des spectateurs collet-monté ou des gens amusants.

    Logan Miller : Quoiqu'il en soit, on ne peut rien faire.

    Noah Miller : Oui, on ne sait pas à quoi s'attendre. Et comme nous n'étions jamais allés à Deauville, ni même en France ou en Europe...

    Logan Miller : Dès qu'ils se sont mis à rire, je me suis dit que c'était bon et que nous allions passer un moment sympa.

    "Un western inhabituel, bizarre et un peu tordu"

    Décririez-vous votre western de la même façon que le personnage joué par Ed Harris se définit dans le film : inhabituel ?

    Logan et Noah Miller (en choeur) : Oui ! Complètement !

    Noah Miller : C'est un western inhabituel, bizarre et un peu tordu.

    Logan Miller : Lorsqu'Ed a lu le scénario pour la première fois, il l'a relié à un autre film atypique justement.

    Noah Miller : Mais Shérif Jackson est bien un western inhabituel, excentrique et bizarre, et nous n'avons jamais cherché à rester sur les rails du genre.

    Logan Miller : Avec le western, les gens savent généralement à quoi s'attendre, car c'est un genre presque sacré aux Etats-Unis. Après nous voulions surtout être nous-mêmes, donc une personne jugera peut-être ça bizarre au final, mais c'est notre voix.

    Comment vous-êtes vous retrouvés embarqués dans cette aventure ?

    Noah Miller : Andrew McKenzie avait écrit un premier jet, et les producteurs nous ont appelés pour repasser sur le scénario.

    Logan Miller : Et à la base il n'y avait pas le prophète Josiah dans l'histoire, ni même le shérif Jackson. Il y avait bien un shérif, mais son rôle était plus petit.

    Noah Miller : En fait l'histoire se concentrait uniquement sur cette femme dont le mari était assassiné, et nous avons voulu l'emmener dans une direction différente, avec ces trois personnages qui évoluent en parallèle...

    Logan Miller : ... pour en faire une sorte de triangle sanglant, entre l'ancienne prostituée, le shérif et le prophète.

    Noah Miller : Nous avons écrit quelque chose comme 40 ou 50 versions du scénario jusqu'au début du tournage.

    January Jones - © Potemkine Films

    Le fait que "Shérif Jackson" soit un western, en plus d'être un film indépendnat, l'a-t-il rendu plus compliqué à produire ?

    Noah Miller : Oui, tout le monde nous a dit que les westerns n'étaient pas assez commerciaux.

    Logan Miller : Que ça ne se vendrait pas en-dehors des Etats-Unis.

    Noah Miller : Mais nous avons tenu bon en précisant que ce ne serait pas un western classique, mais un film différent de ce que l'on peut attendre dans le genre. On nous a aussi dit qu'il ne fallait pas demander plus qu'un certain budget et avoir des acteurs connus, sinon le film ne serait pas financé. Mais finalement nous l'avons fait.

    Vous étiez donc obligés de caster des personnes aussi connues qu'Ed Harris, January Jones et Jason Isaacs pour que le film voit le jour ?

    Logan Miller : Oui, les producteurs nous ont bien fait comprendre qu'il nous fallait telle ou telle personne, sinon...

    Et ça a été compliqué de les convaincre ?

    Noah Miller : Parfois (rires) Ah non, les producteurs pas les acteurs ! Une fois que nous avions trouvé notre directrice de casting, celle-ci s'est très vite tournée vers January Jones, que nous avons ensuite rencontrée et qui était motivée. Pareil avec Jason Isaacs ensuite, et nous avons seulement dû retoucher leurs personnages car nous savions que ces acteurs allaient leur insuffler de la vie et les rendre différents de ce que nous imaginions en écrivant. Mais c'était plus une collaboration, pour que les comédiens soient plus confiants.

    "Sans Ed Harris nous ne serions pas là"

    Est-ce que la beauté très classique de January Jones a été un plus dans votre choix ?

    Logan Miller : Oui, il n'y a qu'à la voir avec la coiffure, le costume...

    Noah Miller : ... et cette beauté classique oui. Nous voulions quelqu'un qui pourrait donner l'impression d'avoir vécu là-bas, à cette époque, et ça marche.

    Logan Miller : Mais ça n'aurait pas été le cas avec sa couleur blonde platine, donc nous avons dû lui en trouver une autre, tout en faisant attention à ce que ça ait l'air naturel. Et pour le costume, nous avons cherché quelque chose d'extravagant, pour que la couleur pète au milieu des décors et saute au visage des spectateurs, comme ceux des autres personnages d'ailleurs. Sur ce point notre film n'est pas naturaliste et nous avons surtout cherché à ce que tout colle avec son langage.

    Noah Miller : Dès que vous voyez la veste bleue d'Ed et qu'il crie dans le canyon, dans la scène d'ouverture, vous comprenez que ce n'est pas un western classique.

    Logan Miller : Et après quand il regarde la caméra.

    Noah Miller : Oui. En fait le but était que le film ait un style qui lui soit propre, mais qu'il soit aussi reconnaissable.

    Vous retrouvez ici Ed Harris, qui était dans votre premier long métrage, "Touching Home" (2008). Quelle influence a-t-il eu sur votre carrière ?

    Logan Miller : Sans lui nous ne serions pas là en train de vous parler.

    Noah Miller : L'ampleur de son influence est indescriptible. Nous n'avons pas fait d'école de cinéma, nous sommes des autodidactes, et...

    Logan Miller : ... quand vous débarquez sans CV comme ça, sans avoir fait d'école capable de vous ouvrire des portes, vous n'avez rien. Du coup nous sommes allés dans les coulisses d'un festival de San Francisco, avons attiré l'attention d'Ed Harris que nous avons persuadé de venir discuter avec nous. Et là nous lui avons montré la bande-annonce que nous avions réalisée, car nous voulions qu'il joue le rôle de notre père.

    Noah Miller : Dans notre premier film (photo ci-dessous, ndlr).

    Logan Miller : Oui, notre premier film. Et nous nous sommes rencontrés ainsi, à ce festival de cinéma. Et nous le dirigerions dans tous nos films si nous le pouvions.

    Il pourrait devenir votre mascotte.

    Noah Miller : Notre mentor plutôt, c'est mieux qu'une mascotte (rires)

    Ed Harris entre les frères Miller dans "Touching Home" - © KSM

    J'ai lu que vous ne considériez pas le film comme un western en le tournant, donc quelles ont été vos influences ?

    Noah Miller : Le genre du western nous a inspirés pour les paysages, le thème de la vengeance...

    Logan Miller : ... mais nous avons dit à nos acteurs et notre équipe technique que nous ne faisions pas vraiment un western, pour ne pas les restreindre, et qu'ils pouvaient apporter n'importe quelle influence afin de subvertir le genre et les attentes des gens.

    Vous êtes partout présentés comme les réalisateurs du film, pourtant le générique de fin ne crédite que l'un de vous deux à la mise en scène. Qui a raison ?

    Logan et Noah Miller (en choeur) : Nous avons dirigé chaque scène et chaque plan ensemble !

    Logan Miller : En fait la vérité, c'est que la Director's Guild of America (le syndicat des réalisateurs, ndlr) était d'accord pour que nous soyons deux à réaliser et à être crédités...

    Noah Miller : ... mais les producteurs n'ont voulu payer que pour une seule personne. Mais nous avons vraiment réalisé le film à deux.

    "Il y a un avant et un après Sergio Leone"

    "Shérif Jackson" se rapproche un peu de l'esprit des films de Quentin Tarantino, dans le rapport à la violence, l'humour noir et les personnages badass. Vous sentez-vous proches de son cinéma ?

    Logan Miller : Nous le considérons comme un maître, même si je n'ai pas vu tous ses films. Et que nous ayons le même humour, ou la même sensibilité, ça n'est pas recherché.

    Noah Miller : Je ne sais pas d'où nous viennent les idées mais elles sortent de notre esprit, pas en suivant un désir conscient de faire comme lui.

    Logan Miller : Pas du tout même. Ce serait du plagiat sinon.

    Noah Miller : Mais beaucoup de gens nous ont fait la remarque et nous le prenons comme un compliment. Et nous ne cherchons pas à nous restreindre quand nous avons une idée. Nous nous en servons sans penser à la façon dont elle va être reçue, ni aux comparaisons qui seront faites.

    Logan Miller : Ce qu'il faut, c'est faire les choses à sa manière. Je connais des gens qui voient des films et se disent "On va mettre ça dans telle scène, ça dans telle autre." Non...

    Oui, dans ce cas le film termine en patchwork, et pas comme quelque chose de personnel.

    Logan Miller : Voilà. Il y a un western que nous adorons, c'est Pat Garrett et Billy le Kid, avec Bob Dylan, Kris Kristofferson et James Coburn. C'est un film sous-estimé, mais il y a un truc avec la bande-originale signée Dylan... C'est dur de dire clairement pourquoi nous l'aimons.

    Noah Miller : Il y a aussi l'avant et l'après Sergio Leone. C'est comme avec Bob Dylan en musique. On ne peut pas éviter certaines similiarités entre des films.

    Logan Miller : Et puis ça peut aider les gens à décrire un film, en dressant des parallèles. Il faut une pomme pour la comparer à une autre pomme, car on peut difficilement le faire avec une pomme et une orange. Le cerveau humain ne fonctionne pas ainsi. Enfin bref...

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 2 septembre 2013

    Suivez-nous sur Twitter pour connaître l'actu ciné & séries d’AlloCiné Follow @allocine

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Commentaires
    Back to Top