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    "Avec White God, j'ai voulu montrer ce qu'une solution par l’oppression pouvait engendrer"

    "White God", un film sur les chiens ? Plutôt un film sur le sursaut de révolte qui peut se réveiller à chaque instant. Avec son 6ème long, le réalisateur hongrois Kornel Mundruczo signe une œuvre aussi étonnante que pleine de métaphores. Rencontre !

    Pyramide Distribution

    Récompensé à Cannes du prix Un Certain RegardWhite God n'est pas de ces films qui laissent indifférents. Entre récit initiatique, aventure, amitié, vengeance et effrayante révolte, ce film hongrois réalisé par Kornél Mundruczo sonde plusieurs genres. Aussi politique que troublant, mêlant le drame familial à un discours sur la chute de la société, il interroge autant notre rapport de supériorité face aux animaux que celui des classes privilégiées - majoritairement blanches - face aux déclassés.

    Métaphore de l'ordre établi en Europe et des injustices qui en découlent, White God choisit, pour conter son histoire, de passer, non par l'homme, mais par la figure du chien. Le chien, meilleur ami de l'homme qui considère son maître comme un Dieu (d'où le titre "White God") et dont l'espèce va, pourtant, subir une ségrégation : les chiens de race d'un côté, les bâtards de l'autre. Relégués dans des refuges au rang d'indésirables, ils vont devenir les exclus parmi les exclus, les exploités parmi les exploités.

    J'ai eu une soudaine et insupportable prise de conscience"

    Si la plupart des maîtres vont refuser de payer la taxe leur permettant de garder les chiens qui ne sont pas racés, Lili, 13 ans, va refuser de tirer un trait sur Hagen. Entre l'enfance et l'adolescence, elle assiste impuissante à son abandon, forcé par la main de son père. Alors que Lili va tout faire pour retrouver son plus fidèle compagnon, Hagen, lui, va vivre une aventure aussi violente que pleine de péripéties, découvrant la cruauté de l'homme jusqu'à vouloir s'en venger... Rencontre avec le réalisateur !

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    Allociné : Comment ce projet si particulier est-il né ?

    Kornél Mundruczo : En visitant une fourrière, j'ai vu comme dans un flash une foule de victimes innocentes derrière les barreaux. J'ai eu une soudaine et insupportable prise de conscience. Depuis, en tant qu'homme et représentant de mon espèce, j'ai eu le sentiment d'être complice d'une affaire criminelle.

    Par l'intermédiaire de la figure du déclassé, ici représenté par les chiens, vous signez un film politique et plein de métaphores. Qu'est-ce que vous cherchez à faire passer à votre public ? Quel monde cherchez-vous à montrer ?

    J'ai voulu dire que tous les privilèges de naissance, ceux de la majorité - qu'ils soient nationaux ou raciaux - sont infondés et qu'ils doivent être considérés comme illégaux. J'ai voulu montrer ce qu'une "solution" par l'oppression, par la discrimination et par la violence, pouvait entraîner.

    La révolte, est-ce quelque chose qui fait peur aujourd'hui en Europe ?

    Oui, bien sûr. Aujourd'hui tout "bon citoyen" dans chaque pays d'Europe craint que les minorités et l'altérité en général - c'est à dire, ceux qui sont discriminés - nuisent à leur tranquillité, dans un monde où chacun d'entre eux n'est protégé que par des mots "politiquement corrects". Ce qui n'est un bastion solide pour aucun des deux groupes. On peut difficilement faire la sourde oreille face un problème aussi énorme.

    Budapest, dans le film, ressemble presque à New York. C'était un choix de montrer la ville dans sa facette moderne ?

    Le problème traité dans le film est celui des métropoles. La capitale de la Hongrie en est une. Ce que je voulais exprimer c'était la dichotomie entre le centre-ville néoclassique où vivent les puissants et la simplicité de sa périphérie. 

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    Vous dîtes vous être inspiré de l'oeuvre de J. M. Coetzee. Sous quels aspects ?

    Pour moi, il s'agit d'un auteur iconique. Il est le maître dans l'art de présenter les éléments dramatiques de la  "paix" sud-africaine, l'horreur mise en marge dans un arrière-plan de silence. Il révèle la vérité en explorant les contrastes et en proposant des antithèses. Notre adaptation de son roman, Disgrace, en pièce de théâtre a été récompensée sous les applaudissements dans différentes villes européennes, notamment en France à Avignon.

    Le film fait également penser aux "Oiseaux", à "The Plague Dogs" et, vers la fin, à "Cujo". Que pensez-vous de ces comparaisons ?

    Les films existentiels des années 60 et la tendance apocalyptique des années 80 et 90 me fascinent. Concernant les films sur les animaux, c'est principalement aux Oiseaux auxquels je penserai, car les animaux n'y ont pas une fonction aliénée. Pour autant, nos chiens sont différents des oiseaux d'Hitchcock...

    Lorsqu'on voit le film, on se dit qu'Hagen pourrait tout aussi bien représenter la figure de la victime, pas spécifiquement une victime d'inégalité, mais n'importe quelle victime qui se défend. N'êtes-vous pas d'accord ?

    Si, tout à fait. Ce à quoi l'on assiste de plus en plus souvent c'est l'abus de pouvoir, l'abus d'une position. La majorité stigmatise, discrimine et oppresse la minorité. Les plus puissants attaquent les plus faibles.

    Considérez-vous "White God" comme un film de genre ou un film de plusieurs genres ?

    C'est clairement un film qui mixe plusieurs genres. Cela va avec la légitimité à laquelle je crois. Même dans notre vie de tous les jours, l'afflux de sujets qui circulent sur Internet et toutes ces impressions que nous ressentons en permanence par nos différents sens, créent une tendance à ce mélange de genres.

    Il y a également un élément fantastique dans le film, des éléments presque télépathiques. Jusqu'où vous êtes-vous autorisés à aller dans cette direction ?

    C'est difficile de conserver un équilibre. Nous avons fait de notre mieux pour ne pas formuler trop clairement l'utopie.

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    Combien de chiens étaient présents sur le tournage ?

    Nous avions 280 chiens sur le tournage.

    Comment gère-t-on un tel nombre de chiens ?

    Nous avons eu des dresseurs et des entraîneurs extraordinaires. Ce que le public pourra voir en salles n'est pas le résultat de ma seule créativité, mais également celui de leur excellence professionnelle.

    Le dernier chapitre du film, la phase de thriller/horreur est très intense. On n'a jamais vu ça auparavant. Comment vous avez tourné ces scènes de rues ?

    Cela a été fait de la manière dont je compose toujours mes films. La dernière demi-heure est en réalité une séquence musicale en image.

    Et justement, quel rôle a la musique dans le film ? Elle semble être la seule chose à avoir du sens dans ce monde...

    Oui, je suis d'accord. La musique est l'art qui se situe au-dessus de tout, elle représente l'humanité même. 

    Lili est une fille courageuse et rebelle. Mais, l'était-elle avant ou c'est l'injustice subit par Hagen qui la transforme ?

    C'est en fait la véritable personnalité de la jeune actrice qui l'incarne [Zsófia Psotta]. C'est une jeune fille rebelle brillante et sensible. Ce qui est drôle c'est qu'au début, elle était réticente, elle pensait que si elle jouait dans un film, ses camarades de classe considéreraient ça ridicule. Alors que c'est une fille tellement talentueuse.

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    Si les chiens ne peuvent pas communiquer avec les hommes, les rapports humains sont également très compliqués dans le film. Il y a de l'incompréhension et du malentendu, surtout par l'intermédiaire du personnage du père. 

    Le père de Lili est jaloux, c'est un élément important de l'intrigue. Son chemin vers la rédemption est le plus long de tous ceux présentés dans le film...

    Les deux chiens qui jouent Hagen ont gagné la Palme Dog à Cannes et votre film a remporté la section "Un certain Regard". Ce sont deux prix bien différents. Est-ce que vous les avez appréciés tout autant ?

    J'étais très heureux que le travail des chiens et celui de leurs entraîneurs soient reconnus. La récompense Un Certain Regard a été une vraie surprise pour moi. Je ne m'attendais pas à ce qu'un travail aussi radical et doté d'un état d'esprit si peu dogmatique puisse être récompensé.

    "White God" représentera la Hongrie lors des Oscars. Est-ce que vous en êtes fier ?

    Etre sélectionné est évidemment un grand honneur. C'est toujours agréable de voir son travail apprécié. Mais, on ne fait pas de films pour entrer dans des concours comme des chevaux de course. Mon but est d'offrir une proposition et, dans le même temps, d'avoir la chance que le film rencontre son public.

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    Parlez-nous de la scène où Hagen rencontre ses compagnons de fortune. Ils partagent ensemble une sorte de terrain vague. Dans cette scène, plusieurs chiens noirs sont présents et semblent n'être que des silhouettes, on ne voit ni leurs yeux ni leurs contrastes. Est-ce que c'était volontaire ou c'est juste une impression visuelle ?

    Je n'avais jamais vu ça comme ça. C'est très intéressant que vous l'ayez perçu ainsi. Tous les chiens de la foule viennent de la fourrière. Nous les avons pris sans aucune sorte de sélection. J'ai cependant entendu dire que, pour les Hongrois, c'est plus simple d'offrir les chiens blancs à l'adoption plutôt que les chiens noirs, ce qui pourrait avoir un rapport avec le fait que la majorité de la population d'ici est blanche.

    Le film est violent mais, finalement, on ne voit jamais cette violence à l'écran. On a simplement la sensation d'assister à des scènes violentes. Comment avez-vous procédé ?

    La violence que l'on voit à l'écran est bien évidemment limitée. C'est un sujet très important pour moi. Dans un monde où la violence est tellement présente, on a deux choix : soit lui tourner le dos et devenir indifférent à cette réalité, qui déforme votre personnalité, soit faire un film dans le but de montrer les conséquences de la violence.

    Vous dédicacez votre film au réalisateur hongrois Miklós Jancsó...

    White God est le dernier film qu'il ait vu de sa vie. J'ai reçu énormément de bons conseils de sa part. L'adage pour se souvenir de lui éternellement serait que l'on ne devrait jamais perdre sa liberté. 

    La bande-annonce de "White God"

     

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