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    Après Angèle et Tony, Alix Delaporte frappe fort avec Le Dernier coup de marteau
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    4 ans après Angèle et Tony, Alix Delaporte retrouve Clotilde Hesme et Grégory Gadebois pour Le Dernier coup de marteau, un film d'apprentissage subtil et lumineux, avec la jeune révélation Romain Paul. Rencontre avec la réalisatrice.

    Lionceau Films

    Pour commencer l'entretien, nous lui présentons une photo des César 2012, prises par nos soins, sur laquelle on voit Clotilde Hesme découvrir Grégory Gadebois recevoir son César…

    Alix Delaporte, réalisatrice : Je n’avais jamais vu cette photo. J’ai l’impression que je me nourris beaucoup de ce lien qui les unit… Même si aujourd’hui, dans ce film, ils ne sont pas liés, je pense que ce lien transperce un peu tout.

    Il n’y avait pas plus fort pour moi que ça. J’avais envie qu’ils reçoivent ce César tous les deux. Mais je ne pouvais pas y croire non plus. Ce sont des acteurs tellement incroyables que ça me paraissait être une évidence, mais on sait très bien que ce n’est pas une évidence, qu’il y a des gens qui votent.

    Il n’y avait pas plus beau prix car ce film s’appelle Angèle et Tony. Ce n’est pas comme il s’appelait Un week-end dans les Pyrénées ! Le César des deux meilleurs espoirs, ça n’était jamais arrivé, ça m’émeut. C’est tellement incroyable.

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    Je me souviens que sur Angèle et Tony, Clotilde et moi, on regardait Grégory et on le voyait émerger. Ça ne veut pas dire qu’il n’a pas fait des choses avant, mais c’est là où l’a vu être en confiance dans un rôle de jeune premier. Clotilde et moi, on adorait regarder ça.

    Je le voyais en tant que metteur en scène. J’étais consciente de ce qui arrivait. Là où Grégory emmenait le personnage, je voyais bien que c’était quelque chose de fort. Je prenais un plaisir incroyable à le regarder.

    Au moment où tous les deux ont reçu ce César, saviez-vous déjà que vous alliez les réunir à nouveau pour un nouveau film ?

    Non. Je savais déjà ce que j’allais écrire, mais à aucun moment, je ne pensais qu’ils seraient dedans. Sinon, c’est enfermant. Je n’écris jamais en mettant des acteurs. J’aime bien que les personnages aient plein de personnalités, de complexités différentes.

    VIDEO : Notre best-of des César 2012, avec Clotilde Hesme et Grégory Gadebois en coulisses...

    Ce tournage était-il très différent ? Les avez-vous trouvés changés ? L’exercice était-il différent pour vous ?

    Pour Clotilde, il y avait une confiance beaucoup plus grande entre nous. Nous avons eu moins besoin de nous parler. Nous étions bien connectées. Il y avait quelque chose de très évident, encore plus que sur Angèle et Tony, quelque chose de plus fort. Je comprenais de plus en plus que la direction d’acteur, c’est le choix de l’acteur, et qu’il n’y a pas besoin de mots ou de psychologie. « Plus dur, plus sec », c’est comme le chef que l’on voit dans le film. Pas besoin d’en dire plus.

    Il fallait passer du temps sur la précision des gestes, qu’il n’y ait pas de maladresses

    Pour Grégory, il avait une conscience très aigue du personnage, donc je n’avais vraiment pas besoin de l’aider là-dessus. Il fallait que je l’aide davantage sur la direction de l’orchestre ; c’était presque technique. Il fallait passer du temps sur la précision des gestes, qu’il n’y ait pas de maladresses, pour que ça ne nous sorte pas du film. Se retrouver devant 110 musiciens, c’est compliqué et angoissant. Mais l’essentiel pour son personnage, c’était d’être un père, pas un chef d’orchestre.

    JC Lother

    Et c’est sans doute un signe de confiance, Clotidle Hesme a accepté de se raser la tête pour le film. Est-ce que ça a été compliqué de lui demander ?

    Il n’y a pas la tête et le corps pour Clotilde. C’est un tout. Elle joue avec son corps. C’est une femme qui doit être rasée, elle se rase la tête. Point. Clotilde n’aime pas du tout l’idée de la performance.

    Le jeune Romain Paul, qui joue Victor, est très impressionnant. Je ne sais pas si la comparaison va vous parler ou vous plaire, mais il m’a fait penser à River Phoenix dans Stand by me…

    C’est marrant, parce que l’autre jour, lorsque nous avons fait une projection à Strasbourg, l’exploitant m’a apporté une photo de River Phoenix dans Stand by me. Et quand j’ai fait Angèle et Tony, je pensais à A bout de course de Sydney Lumet dans lequel il y a River Phoenix. Mais je n’ai jamais pensé à Romain comme le River Phoenix de Stand by me. Et pourtant, quand je le vois aujourd’hui, c’est lui.

    Ce qu’ils ont en commun, c’est la profondeur

    Ce qu’ils ont en commun, c’est la profondeur. Il a une profondeur dans le regard. Comme le film porte beaucoup sur les regards, et que les regards en disent énormément, j’avais vraiment besoin de cette profondeur. Il a ce côté profond des gosses qui ont vécu des choses, profondément intelligent, profondément doux, profondément mélancolique, profondément généreux… J’adore cette comparaison car je trouve River Phoenix incroyable

    D.R.

    Ce sont des gamins qui donnent l’impression qu’ils ont guidé leur vie de façon assez autonome, et à la fois, ils nous donnent envie de les protéger. C’est ça qu’on aime. Ca amène l’instinct maternel de protection, et en même temps, on a l’impression qu’ils peuvent nous emmener, nous adultes, sur des chemins, des choses qu’on n’aurait jamais envisagé de faire.

    Comment l’avez-vous dirigé ? Il faut pouvoir conserver cette innocence, garder cette fraicheur. Autrement dit, comment dirige-t-on un ado qui découvre le cinéma ?

    Le jeu, la direction d’acteur, ce n’est pas quelque chose que j’analyse en fait. J’écris un texte. C’est censé faire un film. Et l’acteur dit le texte. Il a un costume, un texte très précis, à la virgule près, sur les silences, les respirations, les regards… Il habite dans un endroit qu’on choisit, un décor qui est particulier, et va dans un autre décor qui est particulier, l’opéra de Montpellier.

    Choisir une personne forte dans ce qu’elle dégage

    Après, il n’y a pas grand-chose à faire, à part donner confiance. La direction d’acteur, c’est le choix de l’acteur. C’est choisir une personne forte dans ce qu’elle dégage. Ce n’est pas trouver la bonne gueule, c’est trouver celui qui vous permettra de ressentir des émotions.

    Il faut juste vérifier qu’il soit bien solide, donc beaucoup travailler avec les parents. Il ne s’agit pas qu’il lâche au bout de deux semaines. Quand j’ai vu sa vidéo arriver, j’étais tellement sûre de l’avoir trouvé que je voulais vérifier qu’il n’allait pas craquer, ça aurait été très douloureux.

    JC Lother

    Peut-être que le plus important aussi était de l’amener à comprendre ce que c’était de jouer, qu’il aille au bout de ce qu’il peut donner. Peut-être qu’au début il donnait juste très naturellement comme un petit diamant brut. Et comme dans cette histoire il fait un tel chemin, il fallait que lui, Romain, le fasse. Sinon c’est très compliqué ; ça devient artificiel. Il faut qu’il suive un peu le chemin du personnage.

    Alors évidemment, il jette un scooter à l’eau, il saute d’un rocher, il gueule sur sa mère, il fait des choses qu’il n’a jamais fait… Romain n’avait jamais dit un mot plus haut que l’autre sur ses parents… C’était un truc impensable. C’était probablement la scène la plus dure pour lui, de gueuler sur sa mère !

    C’était probablement la scène la plus dure pour lui, de gueuler sur sa mère !

    La seule chose où j’ai eu l’impression à un moment d’intervenir sur le jeu, c’est de lui proposer de s’appuyer sur des émotions personnelles. En clair, au lieu d’être triste pour Clotilde Hesme, penser que c’est sa propre mère. Ça l’a fait basculer dans un truc assez étonnant… C’est la découverte du jeu. Il a cru que c’était tricher. Il m’a dit : « ça marche mais c’est de la triche ! » « Non, ce n’est pas de la triche ! C’est ça la composition. » Je l’ai vu changer, je l’ai vu vraiment changer… Il a quand même découvert des trucs sur ce tournage.

    C’est un film d’apprentissage, dans ce que raconte le film, et pour lui. La réalité et le personnage de Romain Paul ont dû se croiser… 

    Complètement. Apprentissage de ce qu’est l’acteur, ce qu’est la vie, d’exister au sein d’une équipe… Comment on se comporte, comment on est... Apprentissage de l’autonomie aussi. Il n’avait pas ses parents pendant 2 mois, même si il les voyait de temps en temps. C’est un gamin qui est très encadré. Il a une structure familiale très encadrante, très protectrice. Il a forcément grandi, donc ça a joué sur le personnage du film.

    Mais c’est ça que je trouve fascinant, c’est comme si physiquement on le voyait éclore. C’est un gamin qui arrive à sourire à la fin du film, alors qu’il ne pouvait pas. Dans la vraie vie, il n’arrivait pas à sourire. Il avait toujours ce complexe des bagues.

    JC Lother

    A-t-il pris goût au jeu ? Avez-vous l’impression qu’il voudra continuer ? D’autant qu’il a eu un prix d’interprétation à Venise…

    Oui. C’est marrant parce qu’on a plus envie pour lui qu’il finisse ses études et qu’il murisse. Ce qu’il faut, c’est qu’il vive d’abord pour pouvoir exprimer des choses. Se lancer tout de suite, non. Je ne pense pas que ce soit la bonne idée, et il le sait. Après le tournage, il est retourné à l’école, il a bien travaillé.

    C’est un acteur. C’est fou car quand vous mettez une caméra sur ce môme ça devient une autre personne. C’est le principe des stars. James Dean, Robert de Niro… vous les voyez dans la rue, vous ne les reconnaissez pas ! C’est une façon de prendre la lumière, une façon de réagir à la caméra qui est fascinante.

    Lors de la conférence de presse du film à Venise, vous avez dit «Ce qui m'intéresse surtout, c'est de partir des situations pour faire apparaître les endroits de luminosité. Montrer les obstacles, et voir la lumière émerger comme naturellement. » Pouvez-vous nous en dire plus ?

    Faire apparaître la lumière au sens de la lumière de la vie, je ne sais pas si c’est trop possible. J’essaye de m’appuyer sur des choses tangibles qui sont que je choisis des décors dans lesquels il y a une lumière de dingue. La plage par exemple. Je ne vais pas chercher à faire des films lumineux au sens émotionnel.

    Ramener une forme de lumière, une forme de beauté dans quelque chose qui peut être dur

    Je vais chercher à ramener de la lumière dans des situations qui sont un peu complexes. Aller prendre la lumière naturelle d’une plage. Aller filmer une séquence à contre-jour au bord de la plage à 6 heures du soir, c’est ramener une forme de lumière, une forme de beauté dans quelque chose qui peut être dur.

    C’est aussi choisir des choses concrètes, comme cet opéra très ouvert, très différent de l’idée qu’on se fait d’un opéra. Nous avons beaucoup travaillé sur ce point avec Claire Mathon, la chef opératrice.

    JC Lother

    Il y a assez peu de dialogues d’ailleurs dans le film. A se demander même si vous n’avez pas cherché à épurer au fil du tournage. Est-ce le cas ?

    Quand on dit « il n’y a pas beaucoup de mots », c’est surtout qu’il n’y a pas les mots qui prennent les spectateurs pour des idiots. Il n’y a pas les mots dont on pense qu’ils sont indispensables pour que le spectateur comprenne l’histoire. Et même s’il n’intellectualise pas, il ressent. Tout le monde ressent.

    J’aime bien les gens qui ont du mal à exprimer leurs sentiments, et qui petit à petit y arrivent

    J’aime bien les gens qui ont du mal à exprimer leurs sentiments, et qui petit à petit y arrivent. Forcément quand on a du mal à exprimer ses sentiments, on ne met pas beaucoup de mots.

    Mais ce n’est pas plus dur à filmer ?

    Si. Plus dur à jouer. Il faut de grands acteurs pour faire ça, des acteurs à l’aise avec le silence. Faire ressentir la même vibration qu’avec une phrase de 2 minutes juste par l’action.

    Votre passé de journaliste vous nourrit-il encore dans votre travail aujourd’hui ? D’autant que vous faisiez des portraits, qui est un exercice délicat, peut-être le plus difficile.

    Je ne me pose jamais la question. Je ne saurais pas répondre. Mais forcément si j’ai fait des portraits, c’est que j’ai une empathie, ou j’ai une curiosité, ou j’aime bien regarder les gens, une personne, exprimer des choses. La mettre dans une situation et la voir réagir dans une situation.

    Vous, comme journaliste, vous ouvrez des portes et vous emmenez votre lecteur dans des endroits qu’il ne connait pas, vous lui faites découvrir des choses. Si vous travaillez par exemple sur une campagne présidentielle, vous allez essayer d’être la première à ouvrir la porte du président. C’est ouvrir des portes et emmener les gens dans des endroits auxquels ils n’ont pas accès.

    Lionceau Films

    Arriver dans un opéra en plein milieu des répétitions, c’est ça. C’est ouvrir une porte pour le spectateur pour qu’il rentre dans un endroit où j’ai envie d’aller, où j’ai envie d’être car je ne connais pas la musique classique. Donner la sensation qu’on est le premier à arriver là. Je me mets à hauteur d’enfant. Mais je sais très bien qu’en y allant, le môme m’entraine, et en écrivant un personnage comme ça, il va m’entrainer, puis les spectateurs. Il entraine les gens pour qui on fait des films.

    Le personnage de Romain Paul est footballeur et porte le maillot de Zidane. Faut-il y voir justement un passé de clin d’œil à votre passé de journaliste, période à laquelle vous aviez notamment réalisé un portrait de Zidane ?

    Le maillot de Zidane sur le gamin, ce n’est pas anodin. Un môme de cet âge-là qui n’a pas connu la coupe du Monde, s’il porte le maillot de Zidane, là où tous portent celui de Messi, c’est qu’il a une indépendance d’esprit forte. A l’origine, c’est quand même ça ; c’est caractériser le gamin.

    J’aime quand les histoires sont vitales, qu’il y a une urgence chez les personnages

    J’aime quand les histoires sont vitales, qu’il y a une urgence chez les personnages. Ce môme au début du film est complètement incapable de s’autoriser de vivre. Il ne vit pas ce qu’il a de fort à vivre. En l’occurrence, protéger sa mère devient la seule chose qu’il s’autorise et qu’il peut faire, au détriment d’autre chose. Et pour comprendre à quel point il s’empêchait, il fallait que son don, et ce qu’il sacrifiait, soit fort. Ça aurait pu être de la musique, mais ça ne me parlait pas. Je voyais plutôt quelque chose dans le sport.

    Parlons du choix du titre. Vous me disiez que vous n’écriviez pas en ayant les acteurs ne tête ; en revanche, avez-vous le titre du film en tête ?

    Oui. C’est ça même qui a conduit mon choix de la 6ème symphonie de Malher. J’ai choisi le titre avant d’écouter la 6ème symphonie. J’avais lu quelque chose sur ces coups de marteau, et voilà, j’ai écrit ce titre, et ne l’ai pas remplacé. Il me parlait.

    Ce titre permet de garder une part de mystère car la signification est donnée assez tard dans le film…

    Oui, ce qui n’était pas le cas sur mon précédent film ! Mais je ne sais pas, ce sont des choses qu’on n’explique pas, on les ressent. Je n’intellectualise pas du tout les choses, je suis complètement instinctive. Je ne préfère pas analyser parce qu’après j’ai l’impression que je ne ferai plus jamais rien si je commence à comprendre pourquoi je le fais.

    Denis Guignebourg / Bestimage

    Pensez-vous déjà au film d’après ?

    Oui. Je n’attends qu’un truc, c’est d’y retourner.

    Vous avez écrit un scénario ?

    Oui et non. Je sais où je vais.

    Ça sera dans la continuité ou avez-vous envie de changement ?

    Je n’ai pas envie de changer pour changer, mais il se trouve que le truc vers lequel je vais est un peu différent. Mais on écrit toujours avec ce qu’on est. Je ne vais pas me changer ; je vais être la même personne qui va écrire un film un peu différent.

    La bande-annonce du Dernier coup de marteau, sur les écrans ce mercredi :

    Propos recueillis par Brigitte Baronnet, à Paris, le 4 mars 2015

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