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    M. Night Shyamalan : "La seule chose qui compte pour moi, c’est ce que je pense de mes propres films."

    En visite à Paris pour faire la promotion de son nouveau thriller "The Visit", M. Night Shyamalan a accepté de répondre au questions d'AlloCiné au cours d'une longue interview, revisitant sa carrière à la lumière de son dernier long métrage.

    AlloCiné : The Visit est un film autoproduit qui a coûté cinq millions de dollars. C’est votre plus petit budget depuis Praying With Anger, votre premier long métrage. Cela vous permet-il de garder un contrôle artistique total ?

    M. Night Shyamalan : Oui, certainement, et puis ça collait mieux avec moi. C’était une manière de faire un film sans se préoccuper de tout l’aspect marchand. Ça m’a permis de me concentrer sur un ton nouveau et de profiter du moment, comme si nous faisions un film pour un petit festival, avec l’audace qui va avec. Personnages / histoire, histoire / personnages, c’est tout ce qui compte. On se met ça en tête et on voit ce qui se passe.

    Avec Sixième Sens ou Signes, vous vous êtes fait une renommée dans le cinéma d’épouvante. Vous avez même été nommé pour l’Oscar du meilleur réalisateur en 2000. Pourquoi vous être tourné vers des films familiaux par la suite (Le Dernier Maître de l’Air, After Earth…) ?

    Pour mes enfants. Ils avaient cet âge-là ! Je n’avais pas d’enfants quand je faisais Sixième Sens. Ou ils étaient peut-être en bas-âge. D’ailleurs, j’ai toujours fait les deux, puisqu’en parallèle de Sixième Sens, j’écrivais Stuart Little. On peut même dire que mon côté "thriller" a commencé avec Sixième Sens, puisque mes deux premiers films étaient des films familiaux. Et puis maintenant, mes enfants sont des ados, donc je me remets à faire des films d’horreur. Ils en demandent, même ! En un sens, The Visit, c’est tout à fait de leur âge. D’ailleurs je leur ai fait lire, ils ont adoré ! Du coup, c’est reparti. On se recolle aux films sombres. Si j’ai un enfant de plus, il faudra que je refasse des films familiaux (Rires). On fera Stuart Little 3 ! (Rires)

    Il semblerait qu’il y ait une brouille depuis dix ans entre le public et vous. Comment réagissez-vous à ce bashing systématique de votre travail par le public et la critique ?

    C’est leur droit, chacun est libre de réagir comme il veut à ce que je fais. L’important, c’est comment moi je réagis. Le tout, c’est de rester digne. Si je réponds avec gentillesse et amour pour le cinéma, ça va se sentir. Et puis je n’ai pas à dépenser mon énergie à savoir si les gens vont m’aimer ou pas. Ça se voit toujours quand on le fait. Ce qui me réjouit avant tout, c’est quand je réussis mes personnages. Je crois que c’est le cas dans The Visit. Et puis on verra bien : peut-être qu’au fil des films – et j’en ferai peut-être encore quarante, qui sait ! – toute cette grande histoire sonnera plutôt juste. La première chose que j’aie entendue sur Incassable, c’était : "J’ai détesté". Aujourd’hui, on me dit souvent : "J’adore, c’est un classique !". Auquel faut-il accorder du crédit ? Aucun des deux, bien sûr ! Il faut suivre son instinct sur les films qu’on fait. On s’y accroche et puis on passe au film suivant, et ainsi de suite. Tout ça ne va pas aider ni discréditer la prochaine histoire que vous raconterez, mais il faut vous y mettre : c’est une nouvelle aventure. Faites ça à chaque fois et tout se passera bien car vous resterez intègre et vous aurez dépensé votre énergie comme il faut.

    Je suis très content que les gens changent d’avis comme de chemises, mais, encore une fois, la seule chose qui compte pour moi, c’est ce que je pense de mes propres films.

    The Visit fait quand même beaucoup penser au Sixième Sens. Êtes-vous nostalgique de cette période où tout le monde vous adulait ?

    C’est de la fiction, pour moi, tout ça. Je vais vous dire comment je l’ai vécu : quand Sixième Sens est sorti, j’ai ouvert le New York Times. Ils me descendaient. Je l’ai refermé et j’ai continué à écrire Incassable. Sixième Sens a eu des critiques médiocres, n’a pas été cité une seule fois dans les remises de prix, jusqu’aux Oscars où soudain, il a été retenu. D’ailleurs, la plupart des critiques ne l’ont pas vu avant qu’il fasse 150 millions de dollars au box-office. C’est à ce moment-là que le milieu artistique a commencé à le plébisciter comme par magie. Puis, il y a eu Incassable, qui a eu des critiques mitigées. C’est un de mes plus petits scores au box-office. Le seul film a être enfin unanimement applaudi, ce fut Signes. Ensuite, Le Village a été détesté, et c’est reparti pour un tour. D’ailleurs, quand on y pense, mes deux films avant Sixième Sens ne sont même pas sortis au cinéma ! Il y a un grand fossé entre ce que vous croyez que j’ai vécu et ce qui m’est réellement arrivé. Je suis récemment tombé sur une liste qui incluait Le Village dans les vingt-cinq plus grands films des années 2000. Je suis très content que les gens changent d’avis comme de chemises, mais, encore une fois, la seule chose qui compte pour moi, c’est ce que je pense de mes propres films.

    The Visit est votre premier film en found footage. Comment vous êtes-vous débrouillé avec ce genre, vous qui aimez tant les cadrages minutieux ?

    Tout était prévu au millimètre près. Tous mes plans étaient composés. Je fais une vraie distinction entre le documentaire et le found footage. Le found footage, c’est aléatoire, laid et ça ne peut pas être de l’art puisque ça empêche la mise en scène. Alors que le documentaire, je peux lui trouver une belle lumière. Je peux lui donner une tension dramatique. Il y a un point de vue derrière. Ça fait une sacrée différence ! Il fallait que je rende le film beau du point de vue d’une adolescente de quinze ou seize ans très douée et qui essaye de faire un film sur sa famille. J’ai essayé de lui conférer beaucoup de grâce. Ça s’est fait tout seul, pour moi, puisque j’ai l’habitude de composer chacun de mes plans. Là, je les ai d’ailleurs pensés un peu en amont, quand j’écrivais le script. C’est la seule différence avec mes autres films.

    Le found footage, c’est aléatoire, laid et ça ne peut pas être de l’art puisque ça empêche la mise en scène.

    Dans The Visit, on retrouve quelques-unes de vos signatures, que nous aimerions vous faire commenter. La première, c’est la représentation de jeunes adolescents extra-lucides que vous mettez en scène depuis votre deuxième film : Wide Awake.

    Ce n’est pas conscient. J’aime l’adolescence car c’est un âge un peu triste. Ces jeunes arrêtent de croire, ils abandonnent, ils deviennent comme nous. Ils deviennent normaux et ils découvrent que le monde est ce qu’il est. Alors que ce n’était pas que ça, pour eux, avant : ils croyaient en tout ! En tout cas, c’était mon cas, quand j’étais gamin. Et raconter des histoires d’adolescents qui disent : "Attendez, ça ne tourne pas rond" me donne la possibilité de mettre en scène des personnages dont les yeux s’ouvrent et qui comprennent qu’il y a plus que ce que nous croyons. Comme le petit garçon d’Incassable qui dit à son père : "Je crois que tu es un superhéros", ou ces enfants qui disent : "Il y a quelque chose de bizarre chez Papy et Mamie". J’aime beaucoup me servir de ce moment dans la croissance.

    Vous mettez également souvent en scène des personnes âgées qui deviennent mutiques, incohérentes, violentes et même suicidaires, comme dans Sixième Sens ou dans Phénomènes.

    Oui, c’est le sujet tabou qui est au centre de The Visit : notre peur des personnes âgées. On en parle peu en société, on leur coupe le sifflet… Ils vont dans des instituts et on n’ose à peine évoquer ce qu’ils vivent là-bas, parce que ça nous dégoûte. C’est sûrement notre peur de mourir qui nous fait les voir comme des fantômes. Pour moi, c’était un sujet majeur, jamais vraiment abordé jusqu’ici. On y réagit toujours avec de l’humour, du dégoût ou de la peur. Je me souviens qu’en tournant Phénomènes, je me disais : "Je pourrais faire tout un film sur cette vieille dame-là !". Elle faisait vraiment peur. Je me souviens l’avoir mise en scène dans l’embrasure d’une porte, avec une chemise de nuit sur elle. Elle était terrifiante, mais je ne comprenais pas pourquoi. Car c’était juste une vieille dame ! Elle ne pouvait pas nous faire de mal. En vérité, ça vient de nous : c’est cette peur de mourir.

    Vous introduisez souvent dans vos films un personnage qui en sait plus long sur le cinéma et le déroulement d’une histoire que les autres. Est-ce une incarnation de vous-même ?

    (Rires) Tous les personnages sont moi, en un sens. Une version de moi, du moins. Les deux adolescents de The Visit sont vraiment deux facettes de moi, en tout cas. La plus grande est une artiste en devenir qui adore le cinéma, qui le respecte et qui a un point de vue très "auteuriste". Elle voit tout du point de vu sacré de sa caméra. Le petit garçon, quant à lui, est un plaisantin qui veut juste se divertir. Il n’a pas d’idée sur le cinéma, ce qui ne me ressemble pas. Mais j’aime divertir, faire rire et réagir les gens.

    Il y a aussi un critique de cinéma dans La Jeune Fille de l’eau et une petite fille qui devine la suite des évènements grâce à la présence fantomatique de sa mère dans Signes.

    Oui, et même dans Stuart Little 2, en commentant la façon dont les histoires se fabriquent, on créait une mise en abyme. Oui, j’aime bien faire des allusions en introduisant une histoire dans l’histoire. L’art de la narration, je trouve ça fascinant. Du coup, je repense au personnage du critique de cinéma dans La Jeune Fille de l’eau qui découvre qu’il est un personnage secondaire et qu’il va probablement mourir. Il espère que c’est un film tous publics, sans scène de nu, ce qui lui offrirait sa seule chance de survie ! (Rires)

    Dans une scène de The Visit – coupée au montage par la suite – on voit une silhouette sur un toit, au loin. C’est une figure récurrente, dans vos films. Elle rappelle l’extra-terrestre de Signes, ou les ouvriers suicidaires de Phénomènes…

    C’était un moment dans le film que nous avons coupé, en effet. La jeune fille tourne des scènes autour de la ferme de ses grands-parents. Elle se retourne vers la maison et voit quelqu’un debout sur le toit, qui a l’air de vouloir de sauter. Elle a peur, elle distingue cette silhouette au loin et dit : "Ce ne serait pas grand-père, là-haut ?".

    Vous avez réalisé des films bien plus coûteux. Vous est-il déjà arrivé de sentir que le film vous échappait ?

    C’est souvent le cas, assez naturellement, parce qu’il y a des centaines, voire des milliers de personnes qui travaillent sur des films à gros budget. Il y a beaucoup de strates complexes, c’est la nature même de ces projets. C’est difficile de rester un auteur dans ces cas-là. Au bout du processus, il y a un gars derrière son bureau qui va designer votre plan, ce qui va coûter 100 000 dollars. Vous pouvez demander à le retravailler, mais pour une petite modif la facture augmente de 8000 dollars. Et si vous voulez la changer encore, c’est sans doute 4 000 dollars de plus. Et si vous voulez une animation supplémentaire, il y en a pour 25 000 dollars… C’est vraiment très différent.

    Viscéralement, je n’aime pas les suites. Je n'aime pas ce petit confort.

    Qu’en est-il des suites à Incassable que vous envisagiez à une époque, à la télé ou au théâtre ?

    C’est vrai que j’y ai pensé. Viscéralement, je n’aime pas les suites. Je n’aime pas ce petit confort, ni que les gens aient des attentes sur ce qu’ils vont voir. Ce n’est pas mon truc et ça ne m’incite pas à écrire. Mais si je peux trouver une nouvelle façon de faire ce film et une histoire originale pour qu’il se désolidarise d’Incassable, j’envisagerai peut-être quelque chose.

    Vous ne vous êtes jamais dit que vous aviez loupé l’ère des superhéros, avec ce film ?

    Si, complètement. (Rires) C’était trop tôt ! En même temps, c’est un drame sur fond de comic-book plus qu’une adaptation de comic-book. On ne s’en est même pas servi pour marqueter le film car personne alors ne croyait que les comics au cinéma pourraient intéresser qui que ce soit. Et maintenant, on n’en sort plus !

    Vous dites que chacun de vos films a un thème. Quels sont-ils ?

    Pour The Visit, c’est facile : le pardon. C’est pour ça que tout le film parle de rédemption, de ne pas être assez clément et de ces enfants qui ne comprennent pas qu’ils doivent pardonner leur père. Ils croient tourner un documentaire sur leur mère pour la rendre indulgente à l’égard de leurs grands-parents. Mais après la rage, la douleur, le vide, la confusion et l’enfer qu’ils provoquent tout au long du film, ils découvrent que c’est en réalité à eux de pardonner. Et quand je comprends de quoi parle mon film, j’en déduis ce à quoi chaque scène doit ressembler. Incassable développait l’idée que chacun a un rôle à jouer dans la vie. Lorsqu’on n’est pas en phase avec sa fonction, on finit toujours par être malheureux. Quant à Signes, ça parlait de l’existence d’un tout. Y a-t-il un grand dessein ? Faisons-nous partie d’une gigantesque entreprise ou est-ce que rien n’a de sens ? La vie a-t-elle un but ou finirons-nous tous par être enlevés par des extra-terrestres ? Auquel cas, ça n’a pas d’importance que votre femme se fasse écraser par une voiture ou que les Martiens envahissent la planète…

    Quel est le film que vous préférez dans votre filmographie ? Et dans ce film, quelle est la scène que vous avez préféré tourner ?

    J’ai tout de suite pensé à La Jeune fille de l’eau quand vous avez posé votre question. Il y a une scène où quatre sœurs se tiennent par l’épaule. C’est une sorte de cérémonie où le héros, Paul Giamatti, prend conscience de son rôle au sein de l’histoire. Il se met à parler à sa famille qui a disparu en leur disant : "Vos visages me manquent, ils me font penser à Dieu." J’adore cette réplique, et la façon dont les sœurs posent leurs mains sur lui pour lui donner de la force. C’est un cérémonial que je trouve magnifique.

    Vous préparez un nouveau film avec Joaquin Phoenix et Jason Blum. Peut-on en savoir plus ? Est-ce que ça va faire peur ?

    Oui, c’est un thriller.

    Wayward Pines a du succès. Y aura-t-il une saison 2 ?

    Je suis optimiste. Je ne peux pas le garantir. Je suis en train de chercher une histoire, la direction que je veux lui faire prendre et où j’aimerais que ça se termine. En tout cas je ne veux pas m’y coller tant que je ne connais pas la fin. Tout doit être pensé à l’avance. Je sais que la télé ne fonctionne pas comme ça. D’habitude, on commence une saison dès que la précédente a eu du succès. Mais je ne veux pas procéder ainsi. Je n’aime pas voir à la télé des épisodes où on se répète, où on ne prend aucune décision et où on piétine faute de savoir où on va. Pour ma série, je veux savoir précisément quel sera notre axe, si on le fait en dix épisodes ou en vingt et de combien de temps on dispose. Ça se fera comme ça et pas autrement.

    Découvrez la bande-annonce de The Visit, au cinéma le mercredi 7 octobre 2015

     Propos recueillis par Gauthier Jurgensen à Paris le 1er septembre 2015

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