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    Infiltrator : on a rencontré le vrai infiltré Robert Mazur
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Incarné par Bryan Cranston sur grand écran, le vrai agent Robert Mazur est venu (incognito) au Festival du Cinéma Américain de Deauville pour y présenter le long métrage. L'occasion d'évoquer les sujets abordés avec lui.

    "Je ne suis pas forcé de me cacher", nous explique Robert Mazur lorsque nous le rencontrons au Festival du Cinéma Américain de Deauville, dont Infiltrator a fait l'ouverture. Un long métrage emmené par Bryan Cranston et adapté de sa propre vie, lorsqu'il était sous couverture au cœur du cartel de Pablo Escobar, qu'il accompagne autant que faire se peut en promotion. Mais en restant incognito.

    AlloCiné : Que ressentez-vous à l'idée de voir votre vie racontée dans un film sur grand écran ?

    Robert Mazur : Le film a surtout pour but de divertir, donc le comparer à mon livre revient à comparer des pommes et des oranges, puisque mon livre cherche à raconter la vérité. Certains aspects du long métrage sont purement fictionnels et divertissants, et les scènes en question paraissent ainsi un peu surréalistes.

    Mais j'espère qu'il y a des messages importants dans le film, et que les spectateurs les comprendront. Et comme ça n'est pas vraiment un film sur moi-même, j'espère que les gens réaliseront que des agents de police sont prêts à se sacrifier pour eux. Il faut que tous prennent conscience de cette volonté de se sacrifier pour les autres. Ça paraît héroïque vu de l'extérieur, mais tous les policiers du monde semblent aussi dévoués. J'ai l'impression que le public n'en est pas forcément conscient, et j'espère que le film les aidera à le devenir.

    Est-ce aussi pour cette raison que vous avez d'abord écrit un livre ?

    Oui, je voulais que les gens sachent que ce type d'opération n'est pas si inhabituel, et donner un coup de projecteur sur l'implication intentionnelle des banques internationales dans les cartels pour blanchir de l'argent. J'avais plusieurs messages à faire passer et, au vu des retours que j'ai sur le film, j'ai le sentiment qu'ils ont été perçus.

    Un coup de projecteur sur l'implication des banques dans les cartels

    Etiez-vous beaucoup impliqué dans le film, aussi bien au niveau du scénario que du casting ?

    Je l'ai été un peu grâce notamment au professionnalisme du réalisateur Brad Furman. Il m'a permis d'aider et suivre l'évolution du scénario, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de moments dans lesquels je n'ai rien à faire, car il y en a. Il a combiné mes inquiétudes et ses besoins créatifs, et j'ai aussi pu m'impliquer auprès des acteurs, que ce soit Bryan, Benjamin Bratt, Diane Kruger et John Leguizamo. Du coup j'étais sur le plateau 75% du temps, alors que d'autres auteurs avec lesquels j'ai parlé n'y ont jamais mis le pied. Je suis très reconnaissant d'avoir pu partager mes pensées, même si le captaine du navire était Brad Furman, car une grande partie du film vient de son esprit et de ses idées.

    Avez-vous eu votre mot à dire sur le choix de Bryan Cranston pour vous incarner ?

    Pas du tout. Je n'ai pas du tout été consulté sur le choix de chacun des acteurs mais je suis content que Bryan ait été choisi pour me jouer. Et le casting est phénoménal à tous les niveaux. Bryan a fait un super travail, et tout ce qu'a fait John Leguizamo est fantastique. Tout comme Benjamin Bratt, avec qui j'ai beaucoup travaillé pour l'aider à comprendre le sentiment intérieur du personnage qu'il incarne. Il a donc pu voir des vidéos de vrais rendez-vous, écouter des enregistrements, et a extrêmement biens saisi l'essence de Roberto Alcaino.

    ==> L'admiration profonde de Diane Kruger pour les infiltrés

    Que pensez-vous de la façon dont le cinéma et les séries traitent les histoire d'infiltrés ?

    C'est vraiment du cas par cas. Donnie Brasco, par exemple, a très bien décrit la réalité du travail de Joseph Pistone [joué par Johnny Depp, ndlr], que je connais d'ailleurs personnellement. Il a dit que le film était vrai à 85%, et je ne sais pas si mon score sera aussi élevé avec Infiltrator (rires) J'ai aussi trouvé que Les Infiltrés était également très bien fait, car le portrait d'agents sous couverture y est très intéressant, surtout au niveau de l'impact psychologique que cela peut avoir.

    D'autres films rendent moins bien service à ce que certains ont pu accomplir, mais il est difficile pour les gens de comprendre. Je ne peux qu'imaginer à quel point il aurait été compliqué pour Brad et ses acteurs de faire le film sans avoir été aidés par mes partenaires et moi-même. Emir Abreu a ainsi passé beaucoup de temps avec John Leguizamo, qui l'incarne à l'écran, pour l'aider. Sur le plan émotionnel, Infiltrator est donoc très proche de la vérité, alors que les scènes de meurtre sont plus créatives car destinées à "divertir" les gens.

    Lorsque vous étiez sous couverture, avez-vous eu le sentiment d'être un peu comme un acteur ?

    J'ai dû suivre un entraînement pour devenir un agent infiltré, eu des projections psychologiques… Et l'une des choses que l'on nous apprend, c'est qu'il est extrêmement important de se construire un personnage et une personnalité proches de ce que l'on est si l'on est infiltré pendant longtemps, afin de ne pas avoir à jouer. C'est impossible à faire pendant des années. Si vous regardez Robert Musella et moi-même, vous verrez qu'ils sont nés à la même époque dans la zone de New York et de parents italo-américains, qu'ils ont étudié à l'université, ont travaillé dans une banque…

    Tout ceci, le fictif Robert Musella et le vrai Robert Mazur l'ont en commun. Et c'était intentionnel, car il m'aurait été impossible de jouer et faire semblant que je connaissais quelque chose quand ce n'était pas le cas. J'ai d'ailleurs prévenu Bryan Cranston qu'il risquait d'apprendre, en se préparant pour le rôle, que je n'étais pas un bon acteur. Il a ri mais j'ai précisé que j'étais sérieux et que, quand je le regardais, je pouvais voir le père de Malcolm, Walter White, Lyndon B. Johnson, Dalton Trumbo et moi-même. Et il possède cette capacité de se transformer en chacun des personnages. Moi non.

    Je suis un acteur bloqué dans un type de rôle particulier, un peu comme ceux que l'on retrouve toujours dans les films de Mafia et qui ne parviennent pas à en sortir (rires) Il est trop dangereux de trop vouloir jouer lorsque l'on est infiltré. Il faut paraître naturel. Comme Bryan me l'a dit, nous sommes tous deux des obsessionnels compulsifs attachés aux détails. Je suis comme cela, et Robert Musella l'était aussi.

    Je suis un acteur bloqué dans un type de rôle particulier

    Vous parliez de votre envie d’évoquer l’implication de banques comme l’un des moteurs de l’écriture de votre livre. La situation a-t-elle changé depuis, en ce qui concerne les cartels et ces organismes, ou est-elle restée la même ?

    Oh non, c’est pire. Le volume de drogue est bien plus important, tout comme la corruption. Si vous regardez attentivement le Mexique, la Colombie, le Guatemala, le Honduras, le Venezuela ou beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest comme la Guinée-Bissau, le Mali, le Ghana, le Togo et le Bénin, toutes ces nations jouent des rôles importants pour les cartels grâce à leurs routes de contrebande de drogue et d’argent. Pour les emprunter sans problème, ils ont donc dû corrompre les gouvernements et les pouvoirs publics, qu’il s’agisse de la police, des militaires, des services secrets ou des juges.

    La corruption est le plus dangereux des produits exportés par les cartels. Et aujourd’hui, ceux-ci travaillent étroitement avec les organisations terroristes. Ces quatre ou cinq dernières années, des affaires montrent clairement qu’Al-Qaida, le Hezbollah et le Hamas ont collaboré avec des cartels. C’est comme si on avait mis la situation de mon époque sous stéroïdes (rires) Je ne sais pas quand le monde va prendre conscience de la sévérité de ce problème. J’espère que ce sera avant qu’il ne soit trop tard.

    Et pour avoir été de l’autre côté de la loi, dans le camp des fournisseurs, je pense que nous devons vraiment regarder dans le miroir pour se pencher sur les implications du côté de la demande, et voir à quel point nous contribuons au problème en tant que société. Surtout aux Etats-Unis. Car nous contribuons massivement : nous sommes ceux qui mettent l’argent dans la machine pour la faire fonctionner. Et nous avons trop peu réfléchi à la façon dont nous pourrions offrir traitements, éducation, et opportunités économiques à ces classes de la société qui accrochent le monde illégale de la drogue. Tant que nous ne ferons pas ça, nous serons comme un chien chassant sa propre queue.

    ARP Sélection

    Même si on ne le voit que très peu, l’ombre de Pablo Escobar plane sur le film. Et en parallèle il y a la série « Narcos », le film « Paradise Lost » avec Benicio del Toro. Pourquoi les gens sont-ils aussi fascinés par Pablo Escobar selon vous qui l’avez croisé brièvement ?

    Je n’ai jamais rencontré Pablo Escobar. La scène du film est une invention pure car il n’est jamais passé près de moi. Ou alors je ne l’ai pas su (rires) Gerardo Moncada, son bras droit, était mon client. Fernando Galliano, une autre personne très bien placée dans la hiérarchie, était un avocat qui a eu affaire avec Pablo Escobar et les autres leaders du cartel. J’ai moi-même eu affaire à lui en tant que conseiller, et je pense qu’Escobar était au courant car il lui rapportait tout.

    Comme El Chapo, Pablo Escobar a réussi à jouer les Robin des Bois auprès du public : ils aidaient les pauvres, fournissaient des logements, de la nourriture et des emplois que le gouvernement ne fournissait pas. Ça a crée un vent de sympathie envers eux, qui a grandi comme un feu sauvage. C’est malheureux, mais certains segments de la société trouvent plus intéressant de se focaliser sur Pablo Escobar que sur les bonnes personnes (rires) Je pense qu’ils trouvent cela plus sexy, attirant et intéressant.

    Quand je raconte ces histoires à des lycéens, et qu’ils voient des images de la drogue et de l’argent, ils se demandent immédiatement comment ils pourraient avoir un peu de cet argent, au lieu de se rendre compte qu’ils sont face à un problème sérieux et se demander comment ils pourraient aider à le résoudre. Hollywood a dramatisé les barons de la drogue au lieu de les montrer comme le Mal qu’ils représentent. Ils en on fait une opportunité, et c’est malheureux.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 3 septembre 2016

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