Mon compte
    3615 Verif : on décrypte le futur selon Altered Carbon [VIDEO]

    Télécharger les consciences ? Utiliser un clone comme corps de rechange ? Augmenter ses cinq sens grâce à la technologie ? Le professeur Jean-Gabriel Ganascia, expert en intelligence artificielle, livre son fact checking de la série Altered Carbon.

    Pour aller plus loin… Quatre questions à Jean-Gabriel Ganascia, expert en intelligence artificielle, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie, directeur de l’équipe ACASA (Agents Cognitifs et Apprentissage Symbolique Automatique) au laboratoire d'informatique de Paris 6.

    Peut-on dire que les liens entre science et science-fiction sont comme la poule et l'œuf, qu'il est impossible de savoir laquelle précède l'autre ?

    Au départ, c'est la science qui nourrit la science-fiction. La SF, c'est partir des potentialités de la science pour imaginer des mondes possibles, futurs, etc. C'est ce qu'a fait Jules Verne. Ça peut être des utopies, des dystopies, toutes sortes de choses. Ce qui est très bien dans Altered Carbon, c'est la cohérence, comme le fait qu'on peut avoir des clones de soi-même, qu'on peut se dupliquer à loisir. Tout cela peut exister puisqu'il suffit de poursuivre jusqu'à son terme une hypothèse. C'est vrai que cette idée de conscience, ça fait rêver. Cela me fait penser à une amie très cultivée qui me demandait : "Est-ce que tu es sûr que ça ne peut pas exister quand même ? Ça serait formidable !" Si on mélange un discours rationnel à la fiction, ça donne des résultats étranges et un peu inquiétants. Il y a d'un côté un discours de réalité et d'un autre la licence narrative. Il faut être capable de distinguer les deux.

    Comment est-ce que la science influence la science-fiction ?

    Quand on regarde les différents films de science-fiction, ils correspondent à des évolutions technologiques ou à des débats dans la communauté scientifique. La SF se nourrit des expériences de laboratoire. 2001 : L'Odyssée de l'espace avait pour conseiller scientifique Marvin Minsky, l'un des fondateurs de l'intelligence artificielle. Le film de Kubrick correspondait à une étape de l'intelligence artificielle avec des projections dans le futur qui se sont réalisées pour beaucoup d'entre elles. Voyez le jeu d'échecs (ndr : contre l'ordinateur HAL) : c'était impossible au moment où le scénario a été écrit, en 1965 ! La reconnaissance de la parole, c'était impossible. Or, ce sont des banalités aujourd'hui, ça s'est réalisé. Dans le cas d'A.I. Intelligence artificielle, que Spielberg a fait en hommage à Kubrick, vous avez un ordinateur incarné, c'est la disparition de l'ordinateur. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en a plus ! Au contraire, il n'est plus apparent, il est glissé à l'intérieur des objets. Cela correspondait à un débat sur ce qu'on appelle "affective computing", le calcul des émotions pour essayer de fabriquer des machines qui soient capables de se comporter comme si elles éprouvaient des émotions. Attention, elles n'en éprouvent pas ! C'est ce que j'appelle l'animisme informatique (ça fait AI comme artificial intelligence), mais c'est une forme de projection : on attribue aux objets une conscience. On le fait depuis la nuit des temps.

    D’Altered Carbon à Her : les IA, ces personnages (presque) comme les autres

    Pensez-vous à d'autres films ?

    Il y a plein de films de SF qui correspondent vraiment à des évolutions scientifiques : Minority Report sur les interactions homme-machine, Her sur les chatbots... De ce point de vue, c'est très intéressant. Les thèmes développés dans Altered Carbon, comme le film Ex Machina, sont des lieux communs de science-fiction extrêmement présents aux Etats-Unis en ce moment. Cette série n'est pas le meilleur exemple parce que c'est davantage lié à des clichés qu'à des découvertes scientifiques réelles. Mais sur les aspects de réalité augmentée, comme les lentilles dans la série, ce sont des choses qui existent en laboratoire.

    Donc la science et la SF se nourrissent mutuellement. Est-ce que cela peut s'expliquer aussi par la proximité géographique d'Hollywood et de la Silicon Valley en Californie ?

    Ce qu'il faut comprendre, c'est que les pionniers de l'intelligence artificielle étaient des passionnés de SF. Marvin Minsky se vantait de connaître tous les auteurs de SF de sa génération. Les étudiants du MIT (ndr : centre de recherche universitaire à Boston) qui s'amusaient à écrire des nouvelles de SF les faisaient lire d'abord à Marvin Minsky. Il a lui-même écrit un livre de SF avec un romancier (ndr : Le Problème de Turing, avec Harry Harrison). John McCarthy, l'autre grand pionnier à l'origine de l'IA, a écrit une nouvelle de SF, sur laquelle j'ai travaillé parce qu'elle est très intéressante, The Robot and The Baby. Dans les conférences sur l'IA, il arrive qu'on invite un auteur de SF pour qu'il parle. Cela fait vraiment partie de l'univers des scientifiques américains. Et cela explique aussi peut-être qu'il y ait aujourd'hui une présence très forte de la science-fiction dans la science et dans la technologie. On le voit avec Elon Musk par exemple, et sa firme Neuralink. Les scientifiques ont compris cela, ils racontent des choses incroyables pour faire rêver. Cela explique les projets absolument délirants comme le Human Brain Project, où on pense qu'on va dupliquer le cerveau humain. Un peu de jugeotte montrerait que c'est impossible et surtout que ça n'a pas de sens !

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top