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    Superman a 40 ans : connaissez-vous l'histoire de son tournage compliqué ?
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Sorti le 26 janvier 1979 en France, "Superman" fête ses 40 ans, toujours auréolé de son statut de classique du genre super-héroïque au cinéma. Mais les choses n'ont pas été simples pour faire voler le natif de Krypton sur grand écran.

    Warner Bros. Pictures

    C'est un oiseau ? C'est un avion ? Non, c'est Superman ! Un film qui fête les 40 ans de sa sortie française le 26 janvier, toujours considéré comme un classique du genre super-héroïque moderne, dont il a instauré les codes en matière de structure narrative et de trajectoire du personnage principal. Un long métrage qui n'a (presque) pas pris une ride malgré tous les soucis rencontrés pendant sa production à rallonge, qui a débuté en 1973 pour se terminer cinq ans plus tard, avec succès. Retour sur un décollage compliqué, mais finalement réussi.

    À LA RECHERCHE DE LA PERLE RARE

    Tout commence donc en 1973 lorsque le producteur Ilya Salkind se met en tête de faire voler Superman sur grand écran. Mais les choses ne sont déjà pas si faciles puisqu'il lui faut attendre jusqu'en novembre 1974 pour que DC Comics ne consente à lui céder les droits, partagés avec son père Alexander et le Français Pierre Spengler, qui deviendra l'un des producteurs du film... immédiatement envisagé comme un dyptique, histoire de vite rentabiliser ces longues négociations. Les deux opus seront donc tournés à la suite, pratique alors peu courante à Hollywood mais que reprendront ensuite les sagas Retour vers le Futur, MatrixCinquante Nuances et bientôt Mission : Impossible.

    Reste alors à trouver celui qui sera derrière la caméra pendant les dix-neuf mois de prises de vues. Les noms de Francis Ford CoppolaSam Peckinpah ou William Friedkin circulent et Steven Spielberg est très sérieusement approché, alors que Les Dents de la mer n'est pas encore dans les salles. Mais ses exigences salariales refroidissent les producteurs et le cinéaste se tourne vers d'autres projets, ce qui profite d'abord à Guy Hamilton, metteur en scène de Goldfinger. Mais ce dernier ne peut pas passer plus de soixante jours en Angleterre, pour des raisons fiscales, et la production se tourne alors vers Richard Donner : auréolé du succès de La Malédiction, il s'apprête à rempiler sur l'épisode 2, mais un cachet d'un million de dollars fait pencher la balance en faveur de Superman... dont le scénario est loin d'être terminé.

    Déjà passé entre plusieurs mains, dont celles de Mario Puzo, auteur du "Parrain", qui en a signé une version jugée trop épique et coûteuse, le script est confié à Tom Mankiewicz, qui effectue des retouches sans être crédité pour autant. Pendant ce temps, Richard Donner et les producteurs se lancent dans ce qui, à l'époque, semble être la tâche la plus difficile : trouver la perle rare, celui qui incarnera Superman à l'écran.

    (Richard Donner sur le tournage de Superman avec Margot Kidder et Christopher Reeve)

    Fort du succès de RockySylvester Stallone veut le rôle, qui lui sera refusé car il fait "trop italien"Paul Newman se voit proposer quatre millions de dollars pour incarner Clark Kent, Jor-El ou Lex Luthor, mais aucun ne l'intéresse. Robert RedfordClint Eastwood et James Caan sont approchés, mais le premier est trop gourmand côté salaire, le second trop occupé, et le troisième déclare qu'on ne le verra jamais dans "ce costume débile"Harrison Ford passe le casting, mais en vain, et les cibles de DC Comics vont d'Al Pacino à Dustin Hoffman, en passant par... Mohammad Ali. Au final, l'heureux élu est inconnu suggéré par la directrice de casting Lynn Stalmaster, que Richard Donner et les producteurs trouvent d'abord trop jeune et maigre pour interpréter le surhomme.

    Un essai vidéo bluffant plus tard, Christopher Reeve triomphe des deux cents autres candidats qui avaient auditionné et décroche le très convoité double-rôle de Clark Kent et son alter ego Superman. Ne sachant pas encore que le personnage va le rendre célèbre autant que compliquer la suite de sa carrière, l'acteur fait appel à David Prowse, le Dark Vador de Star Wars, pour prendre du muscle et passer de 77 à 96 kilos pendant les mois qui précédent le début des prises de vues, alors que les producteurs règlent d'autres soucis.

    SUPER CAPRICES DE STARS

    Si le héros a les traits d'un inconnu, il en va autrement pour son pire ennemi et son père, qui s'offrent les visages de deux des plus grandes stars du moment. Non sans difficultés. Initialement réticent, de peur que cela ternisse son image d'acteur sérieux, Gene Hackman accepte le rôle du diabolique Lex Luthor. Mais pas de se raser la moustache. Tandis que le méchant est un temps envisagé avec, Richard Donner lui promet de se débarrasser de la sienne si le comédien de French Connection consent à faire de même. Le principal intéressé finit par accepter... pour découvrir que le metteur en scène n'a jamais été moustachu mais doté d'un postiche qu'il retire au dernier moment.

    Pour ce qui est de cheveux, c'est Gene Hackman qui a le dernier mot en étant coiffé différemment d'une scène à l'autre, pour donner l'impression que Lex Luthor avait changé de perruque alors que plusieurs sont visibles dans le décor de son repaire. Il consent toutefois à apparaître chauve dans sa toute dernière apparition, lorsqu'il est envoyé en prison par Superman et se présente aux gardiens, grâce à la magie du maquillage. Avec le recul, ces caprices paraissent pourtant dérisoires à côté de ceux rencontrés par la production avec Marlon Brando.

    Warner Bros. Pictures

    Si Charlton Heston a été envisagé, c'est bien à l'interprète de Don Corleone que l'on fait une proposition qu'il n'a pas pu refuser : incarner Jor-El, le père du héros, dans la séquence d'ouverture, moyennant un salaire de 3,7 millions de dollars pour douze jours de tournage, et un pourcentage des recettes. Il devient ainsi l'acteur le mieux payé de l'époque, et décide visiblement de rendre son passage sur le plateau aussi court que légendaire. Non content d'avoir suggéré à Richard Donner de filmer les répétitions, il refuse d'apprendre ses répliques par coeur et use de divers subterfuges, comme les écrire sur la couche de Kal-El bébé en vue de la scène où ce dernier est dans sa capsule, prêt à quitter Krypton.

    La comédien demande aussi que ses répliques soient enregistrées la première fois qu'il les lit, pour en garder la fraîcheur, et tout porte à croire que si le réalisateur a tenu à ce que les scènes de Gene Hackman et Marlon Brando soient mises en boîte le plus tôt possible, c'était autant pour les libérer en vue de leurs projets suivants que pour débarrasser rapidement un tournage au long cours de ses soucis potentiels. Lesquels sont pourtant loin d'être terminés.

    DÉCOLLAGE CHAOTIQUE

    Dès la pré-production, Marlon Brando a indirectement empêché Superman de prendre son envol. Et pour cause : les producteurs ont découvert que l'acteur était interdit de séjour en Italie, et qu'un mandat d'arrêt avait même été émis contre lui, accusé d'obscénité suite à sa participation au Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci en 1972. L'équipe se voit contrainte de plier bagage à l'issue d'un périple aux allures de fiasco, pendant lequel pas moins de 2 millions de dollars ont été gaspillés pour des tests de vol de Superman qui se sont révélés infructueux. Pour un long métrage doté d'un énorme budget (55 millions de billets verts, record de l'époque) et dont le seul générique de début coûte plus cher que la majorité des productions du moment, cela n'incite pas à l'optimisme.

    La suite non plus. Étalée entre le Nouveau-Mexique, le Canada, les studios d'Angleterre et la ville de New York, dont les extérieurs servent de doublure à Metropolis, la production prend un retard considérable alors que les coûts enflent et que le nombre de personnes impliquées ne cesse de grossir. On en retrouve d'ailleurs une trace dans le générique de fin, qui mentionne cinq réalisateurs de seconde équipe différents, alors que les chiffres définitifs font état de onze équipes réparties sur huit pays du globe, pour un total de mille membres employés et 304 800 mètres de pellicule utilisés. Parmi ceux-ci se trouvent sans doute ceux qui ont été nécessaires pour re-tourner les premières scènes de Christopher Reeve, qui avait pris tellement de muscle pendant le tournage que l'écart de corpulence était flagrant.

    Warner Bros. Pictures

    Planifié pendant trois ans, Superman se tourne en moins de deux, mais les retards pris ont pour conséquence une présence accrue des producteurs, et notamment Ilya Salkind, de plus en plus sur le dos de Richard Donner. Jusqu'au point de non retour. "Il n'a jamais eu de planning ni de budget", déclarera Tom Mankiewicz plus tard. "On lui disait constamment qu'il n'était pas dans les temps ni dans le budget." Les deux hommes finissent par ne plus se parler et Richard Lester est appelé en renfort : officiellement comme co-producteur, même s'il refusera ce titre, officieusement pour jouer les médiateurs. Et bien plus si affinités.

    Engagé pour mettre deux films en scène, Richard Donner a achevé 75% du second opus lorsqu'il est mis sur la touche par les Salkind, coupable de les avoir publiquement critiqués. Le réalisateur est soutenu par Margot Kidder, interprète de Lois Lane, dont la sanction interviendra plus tard, dans Superman III, où son rôle relève presque du caméo. En attendant, c'est Richard Lester qui reprend les rênes d'un projet pour lequel son nom avait initialement circulé, et qu'il doit mener à son terme. Quitte, pour cela, à changer la fin prévue. Dans la première version, le héros devait sauver la Californie en refermant la faille de San Andreas et projetant le second missile de Lex Luthor dans l'espace, où une collision avec la Zone Fantôme libérait trois super méchants : Zod, Ursa et Non. Un événement qui intervient finalement dans Superman II, grâce à un ascenseur de la Tour Eiffel contenant une bombe.

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    Sorti en 1980, le film devait se terminer avec le héros qui inverse le sens de rotation de la Terre pour faire oublier sa vraie identité à Lois Lane. Une image marquante que l'on retrouve finalement dans le premier opus, mais pour sauver la journaliste de la mort, et l'amnésie de cette dernière interviendra bien dans Superman II mais après... un baiser. Longtemps réclamé par les fans, le Richard Donner Cut du long métrage sort directement en vidéo en 2006. Beaucoup des scènes du film de Richard Lester sont conservées, agrémentées d'images inédites, de prises alternatives et mêmes d'essais caméras. Aucune trace, en revanche, de Marlon Brando, dans un montage comme dans l'autre.

    Le salaire promis à l'interprète de Jor-El portait pourtant sur les deux longs métrages, dont il a mis les scènes en boîte en l'espace de douze jours. Mais il a finalement refusé d'apparaître dans la suite, prétextant ne pas avoir touché la part des recettes qui lui avait été promise. Réclamant cinquante millions de dollars, Marlon Brando n'obtient pas l'intégralité de cette somme mais ses gains sur le film s'élèvent au final à quatorze millions, pour une dizaine de minutes de temps d'écran, ce qui n'est pas loin d'être un record. Il parvient surtout à empêcher l'utilisation des images qu'il avait tournées, et qui seront exhumées par Bryan Singer dans Superman Returns en 2006. En attendant, le père de Kal-El est remplacé par sa mère (jouée par Susannah York), ce qui atténue quelque peu les incohérences liées à l'absence de Jor-El dans le récit. Mais ça, c'est une autre histoire.

    TOUT EST BIEN QUI FINIT SUPER BIEN ?

    Car avant de penser à la suite, il y a d'abord eu ce 15 décembre 1978, jour de sortie du premier Superman dans les salles américaines. Après cinq années de gestation, négociations, recherches, échecs, reports, tensions... le natif de Krypton se révèle enfin aux spectateurs. Encensé par les créateurs du personnage, Jerry Siegel et Joe Shuster, tous deux emballés par le résultat, le film de Richard Donner prend la tête du box-office américain avec 7,465 millions de dollars de recettes pour son premier week-end, et mène la danse pendant treize semaines consécutives pour terminer sa course avec 134,4 millions de billets verts sur le sol américain (pour un total de 300 dans le monde), ce qui équivaut 518,2 millions en ajustant ce total à l'inflation.

    Second plus gros succès pour un long métrage sorti en 1978, derrière Grease, Superman séduit aussi sur le plan critique. L'incontournable Roger Ebert le place sur sa liste de "Grands films", et son influence se ressent encore aujourd'hui lorsqu'il est question de super-héros sur grand écran, qu'il vienne de Krypton ou non. C'est aussi grâce à cet opus que Christopher Reeve est devenu une icône du 7ème Art, lui dont le nom n'apparaissait qu'en troisième position dans les bandes-annonces et crédits, derrière ceux de Marlon Brando et Gene Hackman. Devenu le mètre étalon lorsqu'il s'agit de juger un interprète du personnage (Brandon Routh l'a appris à ses dépens en 2006), le comédien a aussi dû porter sa cape comme un fardeau, ne parvenant pas à se débarrasser de cette image figée dans l'esprit des spectateurs, jusqu'à son terrible accident.

    Le 27 mai 1995, alors que la rumeur d'un cinquième Superman flotte toujours dans l'air, son interprète est désarçonné lors d'une compétition équestre, après un saut d'obstacles manqué. Christopher Reeve se brise deux vertèbres cervicales et sa moëlle épinière est sectionnée, le rendant tétraplégique. Il décède le 10 octobre 2004, à l'âge de 52 ans. Aujourd'hui encore, il reste le plus iconique des Superman, ce qu'a notamment appuyé l'Édition Spéciale du premier volet de ses aventures édité au début des années 2000. Un montage que le comédien a sans doute pu voir, contrairement au Richard Donner Cut de Superman II, venu nous rappeler que même si nous avons eu droit à un grand film, nous avons échappé à un dyptique d'anthologie.

    Super gaffes pour un super film :

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