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    Rencontre avec Océan sur son changement de genre : ne l'appelez plus Océanerosemarie !

    A l'occasion de la sortie en salles du documentaire Océan, AlloCiné est allé poser quelques questions au réalisateur. Il revient pour nous sur la question de sa transidentité.

    En mai dernier, Slash, la chaîne web de France Télévisions, diffusait une série documentaire sur le changement d'identité de l'humoriste, Océanerosemarie. Les épisodes ont été remontés pour donner un long métrage intimiste où le spectateur suit pendant un an les étapes et changements vécus par Océan. AlloCiné est allé à la rencontre de l'artiste, apaisé.

    AlloCiné : En mai dernier sur la plateforme Slash, la série documentaire en 10 épisodes, Océan, a été mise en ligne. Pourquoi avoir choisi de sortir une version long métrage à destination des salles de cinéma ?

    Océan : Parce qu’en visionnant le film sur grand écran d’une traite on s’est rendu compte que le film était bien équilibré, que les épisodes devenus des chapitres rythmaient le film et évitaient la sensation de longueur. Le sortir en salle permet, d’une part, de toucher un autre public moins jeune qui n’est pas forcément habitué à aller sur Youtube, et surtout à aller à la rencontre de mon public à travers la France ! Je serai en tournée un peu partout de novembre à janvier pour faire des rencontres avec le public. C’est une décision que j’ai prise en tant que militant et aussi comme comédien, habitué que je suis à rencontrer mon public après le spectacle pour échanger. C’est important à mon avis de pouvoir discuter avec les gens, en particulier hors de Paris où la visibilité des trans est encore plus fragile.

    Pourquoi avoir opté pour la forme du journal intime filmé ? Comment avez-vous appréhendé la mise en scène de votre corps et de ses transformations? Est-ce que vous vous êtes posé des limites ?

    J’ai pensé que cette forme cinématographique du journal intime était la plus juste pour ce projet, que j’ai décidé de faire en voyant la plupart des documentaires télé qui avaient été fait sur les trans : toujours des films faits par des personnes cisgenres qui nous présentaient comme " autres ", différents, voire " avec un problème ". Il me semble urgent et nécessaire que nous ayons la possibilité de nous réapproprier nos propres narratifs, en décidant ce qui doit être montré ou pas. Pour ma part, j’ai juste suivi les événements de ma vie sociale, intime et professionnelle, et filmer les changements de mon corps s’est fait au fil du tournage, non pas pour filmer mon corps à tout prix mais plutôt pour filmer ma vie quotidienne et mes préoccupations, contrairement à toute la culture de vidéos trans sur Youtube où les personnes font des timelines avec leurs voix, poils, changements physiques en accéléré. Je n’ai pas eu besoin de me mettre de limite, j’ai filmé tout ce qui me plaisait puisque j’avais en permanence un Iphone de tournage sur moi quand mon équipe était absente, et au montage j’ai choisi les séquences les plus fortes, même si elles impliquaient de montrer mes fesses que, honnêtement, j’aurais préféré éviter de mettre à l’écran !

    Depuis 50 ans, la communauté LGBTQ+ s'est emparée de la caméra pour filmer ses combats. Dans les années 1970, c'était pour la reconnaissance de l'amour homosexuel. Dans les années 1980-90, c'était la lutte contre le sida et la tolérance envers les malades. Est-ce que vous considérez que votre film s'inscrit dans la continuité de cette bataille pour la visibilité des minorités ? Aujourd'hui, diriez-vous que c'est au tour de la communauté trans ?

    En effet je pense que nous arrivons au moment où les chaines, distributeurs et producteurs sont un peu plus prêts à nous faire confiance pour raconter nos propres histoires, et je m’inscris absolument dans ce combat. Néanmoins les personnes trans vivent majoritairement une très forte discrimination et précarité, très tôt, y compris au sein de leur famille, qui fait que certain.e.s arrêtent leurs études plus tôt que prévu car ils doivent survivre. L’accès aux écoles de cinéma et aux moyens de productions leurs sont donc moins accessibles qu’aux autres. Mais j’ai le sentiment que ça bouge aussi et que de plus en plus de jeunes trans peuvent étudier, et j’espère bien que la nouvelle génération va s’emparer des caméras et accéder aux financements nécessaires ! Si mon film, qui connait un très bon accueil, permet de faciliter l’accès à ces ressources pour d’autres trans ce sera une victoire.

    Arizona Films

    Il y a une scène très marquante dans votre film. Autour d'un repas, vous et vos invités relataient les discriminations vécues. Un ami à vous évoque sa mère qui l'a transformé pour ses voisins en " frère " de sa fille. Elle a fabriqué un autel à cette dernière qui serait " décédée ". Cette idée de la " mort " de l'ancien corps revient souvent dans votre film même dans la bouche de votre mère. Comment on se (re)fabrique après des propos morbides sachant que la volonté première d'un changement d'identité, c'est d'aller enfin vers l'acceptation de soi ?

    Ce vocabulaire autour du deuil est en effet particulièrement présent chez les familles des personnes trans, c’est pour ça que j’ai tenu à monter cette séquence comme ça, pour montrer que même si ma mère est plus " cool " que d’autres mères, elle utilise pourtant ce vocabulaire qui est très violent pour nous. Ce que j’essaye toujours de faire comprendre, c’est que les personnes de notre entourage, si elles décident de parler de " deuil ", doivent alors comprendre que le seul deuil qu’elles ont à faire est celui de leur propre projection sur nous et notre genre. Nous, nous ne disparaissons pas, nous ne mourrons pas ; au contraire nous nous rapprochons de nous, de ce qui est juste pour nous, et transitionner est un geste de vie, de survie parfois, qui nous permet d’être plus vivant que jamais. Donc si notre entourage à un deuil à faire, ce n’est que le sien, et il doit le faire dans son coin, sans venir nous déverser ce vocabulaire en effet morbide, car c’est son problème et pas le nôtre !

    Vous mentionnez à plusieurs reprises la notion de cisgenre (être en accord avec son sexe de naissance). Aujourd'hui, votre transidentité est indétectable. A l'heure actuelle, quel regard portez-vous sur Océanerosemarie ?

    J’ai beaucoup de tendresse pour mon ancien personnage public, je suis beaucoup plus en paix avec elle aujourd’hui qu’avant ma transition, où je luttais avec cette féminité assignée dont je ne savais trop que faire et qui m’encombrait. Je comprends complètement que certaines personnes trans aient un besoin fort de couper avec leur vie d’avant, parce qu’elle était trop douloureuse. Dans mon cas c’est plutôt une réconciliation qui s’est opérée, un apaisement.

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