Mon compte
    En Thérapie sur Arte : le générique de la série décrypté par Mathieu Vadepied
    Julia Fernandez
    Julia Fernandez
    -Journaliste Séries TV
    Elevée à « La Trilogie du samedi », accro aux séries HBO, aux sitcoms et aux dramas britanniques, elle suit avec curiosité et enthousiasme l’évolution des séries françaises. Peu importe le genre et le format, tant que les fictions sortent des sentiers battus et aident la société à se raconter.

    Directeur artistique et co-réalisateur d'"En Thérapie", Mathieu Vadepied ("La Vie en grand") nous parle de son rôle dans la conception de la série et de son expérience du tournage, et analyse la composition du générique à la mélodie entêtante.

    Vous êtes le directeur artistique d'En Thérapie, dont vous co-réalisez plusieurs épisodes aux côtés d'Olivier Nakache, Eric ToledanoNicolas Pariser et Pierre Salvadori. En quoi consiste cette fonction ?

    Mathieu Vadepied : La direction artistique est un poste qui n'existe pas vraiment en France, c'est plutôt une spécificité anglo-saxonne. Depuis Intouchables, je travaille avec Olivier Nakache et Eric Toledano sur leurs films, et on a conçu ensemble sur-mesure cette fonction, qui consiste à interroger le scénario à partir de son noyau, et de trouver un dispositif de mise en scène pour en illustrer le propos. De trouver le meilleur procédé de fabrication qui puisse transmettre toute l'ambition du film. Concrètement, pendant l'étape de préparation, je fais des recherches sur des références de films, je crée un document de travail commun qui s'alimente au fur et à mesure au cours des mois précédant le tournage : des recherches aussi bien esthétiques, musicales, des idées de costumes, de casting... Toutes les orientations qui interrogent la forme du film. Je travaille sur un découpage, un story-board pour les séquences qui le nécessitent, je leur propose des collaborateurs adaptés au projet... Je suis une espèce d'instance qui conçoit, qui propose. Pour la série, c'est un peu différent : comme je réalise 14 épisodes de la série avec d'autres réalisateurs qui entrent en jeu, on les choisit ensemble, on pense le casting ensemble, on attribue les personnages à chaque réalisateur. On mène ce travail de réflexion ensemble, sans baisser la garde sur cette question d'exigence pour que la forme de la série soit la plus aboutie possible, et ne pâtisse pas de la nécessité de fabriquer rapidement une telle quantité de narration : au total neuf cent pages de textes pour trente-cinq épisodes. 

    Quelle était votre exigence commune sur la série ?

    Au-delà d'aborder les questions des traumas des attentats de 2015, nous voulions rendre la série la plus populaire possible dans le bon sens du terme. Essayer d'ouvrir le propos à une population qui ne serait pas forcément celle qui va consulter, où cette question de la souffrance psychique peut être encore un tabou, où le psy fait peur et le fait de s'occuper de ses souffrances peut être attribué à de la faiblesse. A cause de l'idée tenace selon laquelle les Français se plaignent et sont des râleurs, aller raconter ses problèmes intimes c'est indécent quelque part. Tous nos choix artistiques découlent de cette volonté : rendre la série accessible au plus grand nombre, ne pas en faire une fiction parisienne et élitiste, d'autant plus que nous sommes sur Arte, mais d'intéresser toutes les typologies de publics.

    En thérapie
    En thérapie
    Sortie : 2021-02-04 | 26 min
    Série : En thérapie
    Avec Frédéric Pierrot, Frédéric Pierrot, Charlotte Gainsbourg
    Presse
    3,9
    Spectateurs
    4,3
    Voir sur Disney+

    Comment avez-vous imaginé le générique de la série, qui semble constitué d'extraits de films super 8 ? Que vouliez-vous symboliser à travers ces images ?

    Celui-ci s'inspire du générique de BeTipul, la série originale israélienne, mais on avait envie de grain, de quelque chose qui ne soit pas trop net et puisse faire écho à des souvenirs plus ou moins altérés, des choses qui se révèlent par bribes, des flashs ; des choses en lien avec l'enfance, des choses du quotidien, émotionnelles. On s'est rapidement dirigés vers l'utilisation de films Super 8 qui sont immédiatement identifiables par tout le monde, car beaucoup de familles l'ont utilisé avant l'arrivée des caméras numériques et ça donne une sensibilité d'image particulière. A partir de ces images, issues d'archives privées, on ne voulait pas retranscrire de la nostalgie, plutôt quelque chose qui corresponde à ce qu'il se passe dans une séance lorsqu'on parle de son histoire et que des choses qui ont été occultées se révèlent. C'est le propre du trauma : on dissimule pour ne pas trop souffrir. Le fait d'enfouir un trauma pendant l'enfance fait qu'une partie de la souffrance reste, mais les images, le motif à son origine ne sont plus là. 

    Il y a aussi en surimpression cette image d'un fil très fin, qui se désagrège peu à peu... 

    Ce qui est intéressant, comme tout ce qui a trait à la fiction, c'est que l'interprétation qu'on en fait est ouverte. C'est plus une espèce de sensation et de symbole que de chose rattachée à une intention très précise. Au départ, il y avait l'idée d'un fil rouge, et puis on a enlevé le rouge, puis la rupture du fil est venue tout au long d'un processus. On peut dire que c'est le fil de ce qui retient un trauma et qui rompt à un moment donné, le fil de la vie brisé par les épreuves... Finalement, ce genre de choses est réussi quand il n'y a pas forcément une définition précise mais que ça résonne, que ça parle à l'inconscient de chaque spectateur.

    Vous parliez de la musique composée par Yuksek... Comment s'est déroulée votre collaboration ?

    Ca a été comme souvent un travail d'allers-retours entre le compositeur et nous. On avait envie d'un thème principal sous la forme d'une ritournelle assez simple, qui ne pose pas quelque chose de trop directif ou trop imposant. Il fallait que ce soit très léger, en laissant la place à l'imaginaire, avec un brin d'onirique et de nostalgie. Il fallait qu'il y ait aussi une montée en puissance. Au cours des séances, on assiste à des variations dans l'intensité des émotions, que ce soit dans l'agressivité des patients qui en veulent au psy ou dans la force des souvenirs "écrans" qui sont convoqués et en réveillent d'autres plus profonds, plus douloureux. Nous avons vu aussi que la question des silences était aussi importante que celle des mots : le temps de l'écoute, de laisser la parole advenir librement, c'est ce qui est précieux dans les séances. Cette montée d'intensité dans la dramaturgie et dans l'interprétation, ces moments de suspension, nous voulions qu'ils soient retranscris dans ce thème, et que la musique s'inscrive dans cet état d'esprit-là.

    Quels "patients" avez-vous dirigé sur le tournage ? 

    Pour moi c'était d'abord Mélanie Thierry, j'en ai fait quatre sur sept qu'on s'est partagés avec Eric et Olivier, la totalité des épisodes avec Carole Bouquet, et trois épisodes sur sept pour Reda Kateb. Notamment l'épisode centré sur le père d'Adel Chibane, joué par Djemel Barek, qui est malheureusement décédé quelques mois après la fin du tournage. C'était un épisode très émouvant, et sa mort m'a d'autant plus touché que j'ai appris après coup qu'il était très malade au moment du tournage et ne nous a rien dit, alors qu'on a beaucoup travaillé. Tourner un épisode de 26 minutes d'une telle intensité dramatique en une journée, c'est de l'ordre de l'exploit. 

    La série est devenu rapidement très populaire et a été chaleureusement accueillie par la presse et le public. Vous attendiez-vous à un tel succès, au vu du défi que représentait le sujet de la thérapie à l'écran ?

    On ne peut jamais anticiper ce genre de mouvement. Avec le recul, on peut se dire que le contexte favorise cet accueil, probablement. Mais ce n'est pas seulement la pandémie à mes yeux, ça vient de plus loin. on est toujours concernés par la question du terrorisme en France, et plus largement que ça, je pense que ça révèle aussi un besoin profond d'une humanité en souffrance, exacerbée par cette période d'immobilisme contraint. Ca rejoint des préoccupations politiques, écologiques, face à la violence du monde tel que les hommes le fabriquent. On le voit à travers les rapports de domination, les violences sexuelles, l'inceste, les violences dans le travail...  Il y a un trop-plein de tout ça, et le désir d'un monde qui change. La série interroge, en toile de fond, une crise du masculin. La question de la domination, les traumas des patients qui sont au fond tous liés à l'histoire des pères, y compris pour le psy. Cette crise de la domination et du modèle patriarcal vertical, y compris au niveau du gouvernement, on a vraiment la sensation d'en avoir soupé de tout ça. La série touche peut être aussi inconsciemment les gens parce qu'elle soulève ce genre de questionnements.

    Pour finir, quels sont vos futurs projets après En Thérapie ?

    J'ai un nouveau projet de série, et surtout un projet de long-métrage qui s'engage. Ca fait dix ans que je travaille sur un scénario qui traite de la participation des tirailleurs sénégalais pendant la Première Guerre mondiale. On est en train de trouver des financements, il y a un vrai engouement pour ce sujet, sur les questions de la mémoire, des colonies, des discriminations. Je suis toujours intéressé par l'altérité, et par le fait de prendre l'autre comme une richesse plutôt que comme une menace.

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top