C’était un des films les plus attendus de l’année, voire LE plus attendu pour beaucoup. Le croisement entre l’une des personnalités américaines les plus controversées du XXème siècle, et le dernier grand réalisateur classique du même pays. Poudrant, après la volée de bois vert publique et critique que le film a essuyé outre-Atlantique, le doute s’était progressivement installé. Au vu de cet objet profond et curieux, on comprend mieux la déception d’une partie du public américain devant cette grande fresque longue et compliquée, qui s’attache avant tout à la vie intime de John Edgar Hoover avant de chercher à reconstituer dans les détails sa vie et son œuvre.
Eastwood ne répond donc pas à toutes les attentes, et livre un film fleuve qui n’est pas virtuose, mais reste passionnant. Pour s’attaquer au mythe, et à ses cinquante ans de règne sur le FBI, Clint et son scénariste Dustin Lance Black ont choisi de fonctionner par flash-backs, en partant du vieil Hoover qui dicte sa vie à des agents venus taper à la machine sa biographie, éditée pour étouffer les zones d’ombre et les controverses que font naître des journalistes libéraux.
Car c’est surtout cela qui intéresse le réalisateur : la construction d’un mythe et l’image qui en reste. Au crépuscule de sa vie, J.Edgar se retourne et regarde ce qu’il a laissé derrière lui. Et le film se demande à la fois comment cela a été possible, et ce qu’il en reste. Ce qui l’a poussé, comment il s’est construit, comment un pays a parfois basculé dans l’irrationnel, dans le sang, et cela tout au long du XXème siècle, de Roosevelt à Nixon en passant bien sur par les Kennedy. Et il a pour cela deux points d’accroche particulier : la mère de J.Edgar et son compagnon Clyde Toslon. On ne passera donc que peu de temps sur le terrain ou dans les dédales de la politique américaine, mais le film s’arrêtera dans les moindres détails sur la relation particulière qu’entretenait le directeur du FBI avec ces deux personnes. Homosexuel refoulé à une période de tolérance minimale, Hoover aura passé sa vie à cacher ce penchant, tout en cherchant de manière inflexible à découvrir ceux des autres.
L’angle est donc inattendu, souvent frustrant, mais pas pour autant inintéressant. Il est même percutant quand Eastwood trace avec finesse et doigté les lignes d’écart entre la légende qu’Hoover a contribué et construire et la réalité, jusqu’à un moment où l’on se demande si même lui ne croit pas ses propres mensonges. Il parvient aussi à distiller une belle émotion et une grande mélancolie dans les rapports pudiques, complexes et pourtant déchirants avec Clyde Tolson, incroyable amant éconduit et pourtant tellement amoureux de son mentor. Avec ses aller-retours fréquents dans le temps et sa reconstitution impeccable, Eastwood dessine petit à petit une toile qui prendra toute sa signification dans l’épilogue du film. Ce parti pris a du mal a remplir les 2 heures et demi du film, qui souffre inévitablement de baisses de rythme, rendant l’exercice encore plus frustrant pour quiconque s’attendait à une œuvre intense, rythmée et politique.
J.Edgar confirme aussi, s’il en était encore besoin que Leonardo Dicaprio est devenu un immense acteur, un très grand interprète capable d’incarner derrière les postiches un homme complexe et dur. La difficulté d’accès ne doit pas être une raison de se passer de ce grand film, un peu malade, souvent bancal, et loin de la perfection que l’équipe réunie pouvait laisser entrevoir. Mais qui restera un objet complexe, déroutant le plus souvent, passionnant parfois.
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