Le principal reproche à adresser à Concussion, c’est que l’écriture du biopic ne conduit pas le réalisateur à élaborer une forme suffisamment originale pour dire par l’image et la mise en scène les spécificités du combat mené par le Docteur Omalu. Des séquences d’archives viennent parfois illustrer le propos d’ensemble, mais ce procédé est fort banal ; pour le reste, les plans ne se subordonnent à aucune vision artistique, sinon à celle du film hollywoodien lambda avec son cadrage net, ses échanges verbaux en champs-contrechamps, des séquences aériennes indiquant un changement de lieu, etc. Nous avons déjà vu cela mille fois. Mais surtout, cette pauvreté formelle n’a pour raison d’être que l’application d’un cahier des charges ; elle n’exprime rien, ne parle pas. Le cinéma, dans Concussion, sert de médium, d’intermédiaire par le biais duquel transmettre un message et sauvegarder la mémoire d’un héros. Et ce message est, en ce qui le concerne, pertinent : le scandale médical dont il est ici question devient aussitôt le cadre à partir duquel mener une réflexion sur ce que signifie être Noir aux États-Unis, non pas Noir dans le Bronx, mais médecin Noir multi-diplômé et brillant dont réputation et crédibilité sont salies en raison de la couleur de sa peau. On le nomme « africain » ou « pseudo-docteur », on pourchasse son épouse comme s’il s’agissait d’un jeu, on lui refuse le droit à la parole. Le film de Peter Landesman témoigne du racisme qui perdure encore aujourd’hui en Amérique, un racisme communautaire qui prend ses racines dans l’inconscient d’un pays ne supportant pas que l’on touche à l’une de ses institutions favorites, le football. Concussion a pour finalité la réhabilitation d’un héros national, sans que cette réhabilitation ne passe par une condamnation des actions de ce personnage ici traité comme un saint, mari modèle et homme de foi – nous sommes aux antipodes du démantèlement de la fabrique du héros américain cher au cinéma de Clint Eastwood, qui commence par déstabiliser son personnage avant de le sauver. Le Docteur Omalu respecte en tout point les mœurs américaines, il est le citoyen sans tache, le modèle à suivre. Voilà pourquoi nous le voyons tenir des discours sentencieux et prêchi-prêcha : il inscrit sa parole dans un cadre puritain parce que la culture américaine ne saurait dissocier le scientifique du moral, et que la voix du puritanisme – « ma femme regarde les matchs de football le dimanche, je l’entends s’agiter devant la télévision, nous sommes de vrais Américains » – peut seule perforer la carapace de ce puritanisme, lui faire prendre conscience de ses zones d’ombre. Les propos que tient le Docteur Julian Bailes sont éclairants : il reconnaît être écartelé entre son amour pour cette vaste famille qu’est le football et la vérité scientifique qui l’invite à se repentir et sauver la vie des joueurs. Le film tout entier est préoccupé par la foi, tourmenté par la notion de Bien et de Mal, reflet exact de la société américaine. Car le biopic américain a pour vocation d’être pédagogique et préventif : il remplit son contrat haut la main avec Concussion, long métrage au scénario solide et plus subtil qu’il n’y paraît, mais desservi par l’absence de recherche formelle et la très belle partition musicale signée James Newton Howard que le film sous-exploite.