Ce film-catastrophe coréen sait happer le spectateur en avançant par surprise, tout en tissant de la métaphore et de l'allégorie mais il tend à se perdre dans une certaine lourdeur, entre caricatures et rédemption barbante. On rejoint crescendo une série de situations de stress aigu qui vont distiller une bonne dose de tension anxiogène côté spectateur. L'histoire joue de la contradiction entre des valeurs conflictuelles qui imprègnent la Corée du Sud, à savoir la compétition acharnée, l'individualisme forcené et l'esprit de solidarité ou d'entraide collective, le tout sous tendance sacrificielle (ce qui reste à l'évidence sous-tendu par des valeurs religieuses, sachant que rien de confessionnel n'apparaît ici). La situation extrême va servir de révélateur au véritable fond de chacun. L'accélération subite imposée court-circuite les masques sociaux, ce qui va mettre l'âme à nu. Dans ce film-choc aux zombies très rapides, le scénariste Joo-Suk Park convoque à l'évidence la métaphore d'un capitalisme à bout de souffle, où chacun se met à «bouffer» l'autre, où l'on choisit de faire du fric au détriment du respect de la vie, où l'espoir ne semble plus de ce monde: un tableau devenu certes classique mais bien exposé. S'instaure par là une confrontation de valeurs humaines, au péril d'aboutir à un manichéisme terminal: ou on fait preuve d'entraide, de maîtrise de soi et d'attention à l'autre, ou on est de la race des viles égocentriques qui n'hésitent pas à virer dans le fascisme. Au centre opère une relation affective tendue, qui introduit l'aventure, à savoir celle d'un père séparé, qui a placé le business de la bourse au premier plan de sa vie, avec sa petite fille dont il a la garde, une fille unique chagrine qui aimerait bien aller retrouver sa mère installée à Busan mais aussi se rapprocher de ce père bien trop distant. Bien qu'il reprenne des codes habituels pour lancer son scénario, DERNIER TRAIN POUR BUSAN est bien plus qu'un film horrifique puisqu'il est très centré sur des rapports psychologiques (comme dans Night of the Living-Dead, 28 Days later, certains épisodes de The Walking Deads ou des Masters of Horror). Yeon Sang-Ho fait par là figure de Georges Romero coréen (les scénarii de leurs premières œuvres-phare revenant respectivement à John A. Russo et Joo-Suk Park). Il convient cependant de tempérer l'éloge de ce film visuellement impressionnant pour deux types de raisons, un d'ordre technique et un d'ordre scénaristique. On peut relever ainsi quelques petites ellipses temporelles ou micro-jumps, susceptibles d'instiller un défaut de réalisme
(par exemple, au moment où Sang-Hwa court pour rattraper le train qui file déjà, il cogne des zombies qui le retardent et il parvient tout de même à sauter dans le train)
;
quelques morts qui ont trop l'air de mannequins; les quelques vagues et monticules de zombies sont super bien faits mais
subsiste une impression de doute face à certains FX...
comme les épaisses lentilles de contact blanches translucides signalant l'effet post-dead
; d'ailleurs, on peut y déceler une certain mixture WORLD WAR Z SNOWPIERCER mais dans une version «sage» et crédible (niveau scénario), quoiqu'un peu irréaliste
(la rapidité de mutation de certains contaminés, l'incroyable «chaîne» de zombies qui tente d'arrêter de train)
. Côté dialogues, ça a l'air trop retenu et timoré
(multitude d'échanges conventionnels, quasiment pas d'insultes, des groupes menacés sans expression, un manque d’audace dans les mots employés -jamais on n'entend le mot zombie, bien qu'ils soient de caractère atypique et jamais on n'essaie de leur buter la tête)
; du côté des personnages,
ce salopard de Young-suk n'est pas assez agressif en zombie;
les caractères attribués aux personnage sont pour certains caricaturaux
(le financier froid et détaché; le patron de boîte vrai salopard; le couple Sung-kyung Sang-Hwa associe une femme fragile -enceinte-, sensible et quasi passive, à un partenaire bourrin, courageux et impétueux)
; l'enfant (Su-An) est excellemment joué par Kim Soo-Ahn mais son rôle est globalement peu expressif
sauf sur la toute fin donc monotone (entre moue triste, attentisme, passivité, caractère bougon ou pleurnichard)
. On retiendra aussi le jeu de Dong-seok Ma (qui a joué dans un film coréen similaire, Pandémie). Quant à la lenteur des personnages à réagir face à danger soudain et menaçant (de type attente crispée, à plusieurs reprises, ce qui ne manque pas d'irriter), la réalité de cette réaction face à un état de stress trop intense s'explique par l'état de stupéfaction ou de sidération (qui cause une inhibition motrice éphémère); toutefois, cette sidération de certains personnages semble bien exagérée alors que d'autres, plus rarement, réagissent vite et bien. On note certes la présence de quelques réactions-type en situation de stress intense
: fuite panique, réaction confusionnelle (personnifiée par le psychotique à la peau mordorée), réaction psychotique mélancolique (à travers le fameux duo des sœurs âgées)
mais pas de réaction vraiment délirante. Et puis la fin est très moyenne
vu que si peu survivent... en nous balançant une issue du type seuls cell/ux qui respectent vraiment la vie ont le mérite de survivre; on n'évitera pas, à trois reprises le coup du héros sacrificiel
. Au total, malgré ces regrets et limites, ce survival mérite d'être vu une fois sur grand écran pour son indéniable maîtrise cinématographique.