Notre monde : les secrets du tournage

Pendant le confinement, Luàna Bajrami a décidé de numériser de vieilles vidéos familiales qui lui ont permis d’explorer la période des années 1980 à 2005, entre le Kosovo et Paris. La réalisatrice été frappée de découvrir des personnes de son entourage, à un âge où elle ne les a pas connues, dans cette dynamique d’insouciance et de jeunesse :

"Tout est donc né de cette séquence, en apparence anodine, qui a duré deux mois. Par ailleurs, après mon premier long métrage, j’avais le désir de reparler de la jeunesse – et même de lui consacrer un diptyque – dans un film contextualisé au Kosovo, mais que je voulais universel."

Ce qui intéressait Luàna Bajrami était la période de latence totale pendant les quelques mois qui ont précédé la proclamation de l’indépendance du Kosovo en 2008. Elle confie : "La guerre du Kosovo s’est terminée en 1999 et le pays a alors été placé sous protectorat des Nations Unies. Autrement dit, le Kosovo n’avait pas de gouvernement propre, même s’il était scindé de la Serbie. La population attendait donc que le Kosovo soit enfin reconnu comme une nation à part entière et ce depuis 1999."

"Cette attente interminable a duré neuf ans ! J’ai donc situé le film en 2007, quelques mois avant la déclaration d’indépendance et même si le contexte politique reste lointain, il fait écho à la situation d’attente dans laquelle se trouvent les jeunes à travers leur parcours personnel et l’endroit où ils vivent."

Le casting a duré deux mois. S’en est suivi un mois de préparation avant le tournage, durant lequel les acteurs n'ont pas répété les scènes, mais plutôt mené des lectures et des discussions avec Luàna Bajrami. Cette dernière explique : "J’accorde beaucoup d’importance à cette étape. J’avais deux objectifs : d’abord créer le groupe et les différents liens ; ensuite, m’assurer que les comédiens comprenaient pleinement ce que je voulais raconter, qu’ils en saisissaient l’enjeu."

"Dans le cas de ce film, je pense que les acteurs ne pouvaient s’effacer complètement derrière les personnages. Et il y a peut-être un sentiment commun entre eux qui a renforcé cette vérité, puisque l’attente que l’on raconte dans le film, celle de l’indépendance, est aujourd’hui devenue celle de la libéralisation des visas."

Sur le plan cinématographique, Luàna Bajrami a été marquée par la réalisatrice britannique Andrea Arnold. Elle confie : "Lorsque j’ai travaillé sur les mood boards, Fish Tank et American Honey étaient des références – davantage pour l’énergie qui s’en dégage que pour l’esthétique. Par ailleurs, je voulais déployer cette histoire sous forme de chronique, et À l'est d'Eden de John Steinbeck m’a beaucoup inspirée en la matière."

Notre monde a été tourné à Pristina et à Gnjilane, la "dernière cité universitaire qui soit restée dans son jus", d'après Luàna Bajrami. La réalisatrice confie : "C’était un défi de tourner dans un pays tout jeune, en pleine effervescence de construction et de choisir de situer l’intrigue en 2007. Mais je ne me suis pas trop mis la pression car il ne s’agit pas d’une reconstitution historique."

"J’avais surtout le sentiment de porter un regard sur la jeunesse kosovare, mais aussi sur la jeunesse française car même si les contextes sont radicalement différents, les émotions, les discussions, le désir de fuir, la rage et le sentiment d’être incompris sont les mêmes d’un pays à l’autre."