Stanley Kubrick est l'un des rares réalisateurs capables d'engendrer un coup de maître à chaque sortie, de créer des films-mondes qu'il est possible de disséquer pendant des heures. À chaque long-métrage, un genre différent, mais une maîtrise toujours exceptionnelle, avec un scénario hors du commun et une beauté visuelle fouillée. Peu de cinéastes ont su lui emboîter le pas, et il subsiste toujours des petits défauts ou des aspirations différentes pour ceux qui ont tenté de le faire – par exemple Christopher Nolan, P.T. Anderson, David Fincher ou encore Darren Aronofsky pour citer les plus récents. Mais chez tous ces réalisateurs existe la volonté de faire de chaque film une grande œuvre qui s'inscrirait à la perfection dans une filmographie cohérente et variée tout en augmentant sa valeur.
Une grande œuvre, c'est ce qu'est assurément "Shining". Le générique suffit d'ailleurs à laisser sa marque, à annoncer le chef-d’œuvre à venir. Il s'agit de l'un des films les plus fascinants de Kubrick, le plus lynchien aussi, malgré l'anachronisme que suscite cette expression – "Shining" évoque d'ailleurs "Twin Peaks" pour la musique planante et angoissante, le cadre montagnard et les réminiscences indiennes. Et après tout, la Loge Noire de la série de Lynch n'a-t-elle pas pour aïeul la Chambre 237, et le Club Silencio de "Mulholland Drive" ne descend-il pas de la Gold Room ? La beauté de l'Overlook Hotel, le jeu sur les lumières, les motifs et les décors, la complexité du scénario, l'excellence des acteurs, tout contribue à faire de ce film l'un des plus grands de l'histoire du septième art. Et cet hôtel est l'un des lieux les plus fascinants de l'épopée cinématographique, véritable labyrinthe enfermant le spectateur à la merci de Jack Nicholson – meilleur acteur au monde ? – et se jouant de lui, tel le personnage allégorique qu'il est. Les dialogues, débordant de tension, sont éprouvants et maintiennent l'intensité de manière constante – avec notamment les monologues hallucinants de l'écrivain et les affrontements verbaux avec son épouse. Les scènes parfaites se succèdent, à mesure que la folie gagne Jack Torrance et que l'angoisse augmente, et c'est avec une ultime énigme que Stanley Kubrick – meilleur réalisateur au monde, pas besoin de point d'interrogation ici – referme ce bijou magnétique.