Il y a des séries qui attirent tout de suite l’attention, d’autres qui rebutent d’emblée. "Selfie", sitcom de la chaîne ABC lancée en 2014 pour une unique saison, paraissait être de cette première catégorie. Son scénario inspiré par "My Fair Lady" et "Pygmalion" avait de quoi inquiéter. Accro aux réseaux sociaux qui lui permettent d’alimenter son narcissisme, Eliza Dooley (Karen Gillan, de "Doctor Who") réalise qu’avoir des amis virtuels n’est pas la même chose qu’avoir des amis dans la vie après une humiliation publique. Elle décide alors de demander l’assistance de Henry Higgs, un spécialiste du marketing, pour l’aider à l’aider à reconstruire son image. Tout commence de manière aussi superficielle que son personnage principal. En mettant en scène l’humiliation médiatique et publique d’Eliza puis la nécessité de se confronter à la réalité, le premier épisode grossit le trait en n’offrant pas la meilleure introduction possible à une histoire qui avait de quoi avoir un écho assez important auprès du public. Réseaux sociaux, selfie shaming, mauvaise estime de soi, "Selfie" brasse des thèmes aujourd’hui universels, mais qui ne sont pas bien mis en valeur au départ. La série prône alors clairement la déconnexion, basant son propos sur une critique des réseaux sociaux et la pression qu’ils ont sur nos vies, l’influence qu’ils peuvent exercer sur la construction de nos personnalités. Le sujet n’est pas traité avec subtilité et tant mieux. L’outrance d’Eliza, contrastant avec la réserve d’Henry, souligne bien à quel point nos vies connectées nous éloignent de notre existence, justement. Henry Higgs (John Cho de "Star Trek") est ainsi là pour rappeler à la jeune femme de ne plus voir le monde par le prisme des autres et du regard factice que le numérique a construit. S’il est là pour la guider dans sa reconstruction personnelle, Eliza a également beaucoup à lui apporter. A vouloir se définir en dehors de son entourage, Henry est tout aussi détaché de la réalité que sa collègue et il va devoir apprendre à faire confiance et à s’ouvrir. Au-delà de son message sur l’acceptation de soi à travers l’approbation numérique des autres, "Selfie" est surtout la rencontre entre deux solitaires. Tout au long de la série, Henry et Eliza se cherchent, se trouvent et se repoussent. Cela pourrait apparaître comme un simple jeu amoureux, poncif télévisuel épuisé, mais c’est moins leur relation qui importe que le chemin qu’ils parcourent pour en arriver là. L’alchimie est sans aucun doute bien présente. Ce qui est cependant réellement intéressant est la manière dont ils passent d’une indifférence totale, appuyée par un antagonisme total de leurs personnalités, à une réelle amitié se teintant peu à peu de romance. Ils apprennent l’un de l’autre, Henry à être un peu plus extraverti, Eliza à être plus réfléchie. Cette réussite est alors à imputer à la créatrice, Emily Kapnek ("Surbugatory") qui parvient à ne pas tomber dans la redite facile et à dépasser un début trop conventionnel et pas drôle. Mais elle vient surtout à John Cho et Karen Gillian dans les rôles titres, casting étonnant et qui se justifie pourtant rapidement. À côté de cela, "Selfie" a eu à peine l’opportunité d’étoffer ses personnages secondaires. Faute au peu de temps qu’elle a eu, nous n’avons qu’égratigné le potentiel comique de Charmonique (Da’Vine Joy Randolph) et Sam (David Harewood), deux collègues d’Eliza et Henry qui avaient de quoi faire rire lors de leurs apparitions. À l’instar des images qui ont construit la réputation d’Eliza, "Seflie" fut ainsi une chouette petite série fugace, mais hautement sympathique. Elle a mis un peu de temps à se mettre en place, ce qui lui a sûrement coûté la vie, mais une fois le bon rythme trouvé, elle a su faire rire et créer un récit vraiment intéressant et qui mérite vraiment le détour