J’attendais beaucoup de cette série, puisqu’adorant les livres de Thomas Harris et surtout Dragon rouge, puis le casting avec le « Chiffre » de Casino Royale en Hannibal m’interpellait car il ne semblait pas être un mauvais choix. Revenir sur la « carrière » du cannibale, passée sous silence dans les livres et films, était également très intéressant. Au final je suis plus circonspect et je me demande si l’auteur a apprécié le traitement de son œuvre.
Déjà il y a une dissociation, certes l’esprit et le monde de Thomas Harris sont bien retranscrits mais différemment selon les personnages : Lecter est fidèle à son image : il joue avec le feu, étudie des psychopathes,
drogue ses patients, se sert d’eux
, mange, manipule, mais Will Graham… Ici on a l’impression que son don d’empathie est plus un pouvoir magique qu’autre chose, il ne devine plus en déduisant et en observant, il se concentre et voit les choses très précisément. Certes c’est pratique pour la narration mais ça fait perdre pas mal au niveau de la réflexion générale et du réalisme. Les conclusions arrivent trop facilement parfois, on soulève une hypothèse et on s’y engouffre sans y réfléchir davantage ou tenter d’explorer d’autres pistes. De plus, c’est une victime perpétuelle, il se fait taillader et charcuter à longueur de temps, ça en devient lassant et navrant.
Ensuite, le problème avec les séries traitant de la genèse d’œuvres antérieures, c’est qu’elles veulent du sensationnel quitte à transgresser la réalité future. On a pu l’observer avec Smallville où Clarck connaissait déjà son ennemi juré, qui découvrait son identité, devenait déjà Superman, rencontrait sa femme, perdait ses parents… alors que dans les films ou séries postérieures rien de tout cela (ou cela arrive pendant l’œuvre dite) d’où un raccord impossible. Admettons que Graham connaissait bien Lecter (même si ce n’est pas vraiment le cas, ils n’ont jamais été amis), mais il n’était pas censé aider le FBI souvent, ce n’était que très ponctuel, tout comme Hannibal, mais là cela devient fréquent. Shilton n’était pas connu avant d’accueillir Lecter et n’avait jamais pris part à des enquêtes ni été blessé, ni jamais été accusé de meurtre tout comme Will, le FBI collaborait occasionnellement avec Lecter, pas Crawford… Alors certes il y a des clins d’œil sympas mais ça a tendance à devenir des incohérences.
Pour que la série intéresse et existe en elle-même il lui faut son identité, encore plus pour durer, et c’est là que le bât blesse. Les films/livres qui suivent l’intrigue sont bons, donc les scénaristes sont tentés de prendre des éléments dedans pour pimenter les saisons, mais ce qu’on retire on ne peut le rattacher ensuite sans rentrer dans des explications vaseuses. C’est pourquoi on a des éléments d’Hannibal avant même ceux de Dragon Rouge, ce dernier étant récupéré car manque d’inspiration pour finir la série, et le Silence des Agneaux est justement passé sous silence. Difficile de faire tenir ce mélange debout, surtout si on veut l’insérer proprement alors que l’intrigue ne le permet plus, par manque de fidélité. Du coup, on a juste des éléments par ci par là, un Dragon Rouge bâclé, une fin insipide à souhait et un délire pas assumé de la part des scénaristes dans la saison 3.
On peut résumer l’ensemble en :
saison 1 on recherche un tueur et on tombe sur Graham, saison 2 le revirement s’annonce avec une certaine inversion des rôles symbolisée par Bloom qui passe de Will à Hannibal (tant dans le lit que dans la défense), saison 3 on sent la fin…
En fait on a surtout une série policière inhabituelle, centrée autour d’un psy cannibale qui poursuit des serial killers balaises et imaginatifs (les meurtres étant de vraies œuvres d’art baroques et macabres). Trop peu réaliste. Si les réalisateurs voulaient rester dans l’ambiance des films il valait mieux partir d’un disciple de Lecter, pas de l’original et le dévoyer.
A part ça les épisodes ne répètent pas, mais leur qualité est franchement inégale (pareil pour les saisons, ça décline). La trame générale se perd dans ses inspirations et ses personnages car, au final, Abigaël, Chiyo et Bedelia ne servent à rien. Si la féminisation de certains personnages (Bloom, Lounds) est un plus, car ça apporte plus de profondeur et d’intrigues sans que ce soient des faire-valoir (rôle prépondérant parfois), on a tout autant l’impression que d’autres sont là pour un genre de discrimination positive. Sinon le casting est plutôt bon, avec un Fishburne qui devient un spécialiste des flics après les Experts, et un Mikkelsen qui s’en tire pas mal, surtout que passer après Hopkins était forcément casse gueule. Les FX sont bons, la musique sied bien à l’ambiance, les décors sont de bonne facture (le cabinet du Dr Lecter est nickel), les dialogues sont travaillés (même en VF, car je mate les 2 versions) et versent dans la psychologie sans erreurs, le rythme est sans cesse cassé, surtout par les hallucinations de Will ou les inspirations des scénaristes, ce qui finit de nous perdre et se transforme alors en longueurs car on ne sait plus s’il faut prêter attention à l’image ou pas, à quel moment on est, si c’est une réflexion ou la réalité…
Le scénario, de toutes façons, n’est pas assez soigné. Quand je vois Deathnote qui fait attention aux détails, je me désole ici. Par exemple : tout le monde sait où vivent et se trouvent tout le monde à chaque moment, des persos disparaissent sans raison (Abigaël, Chiyo), d’autres interviennent sans qu’on comprenne pourquoi (Scully), le chef du FBI est souvent seul et sur le terrain, entre
la fausse Clarrisse et celui qui tente de tuer Lecter pas moyen d’avoir des infos ?,
de multiples faux raccords notamment sur les cicatrices qui vont et viennent, surtout que celles-ci n’apportaient rien... Au final presque toute l’histoire est changée mais pour rien puisqu’on assiste surtout à des inversions inutiles et bêtes entre personnages, des innovations pour balancer plus de sang et de sensationnel, des incartades pour exploiter toujours plus le personnage du cannibale, du changement juste pour dire qu’on fait pas pareil en somme. Ça tourne vite en rond et donc ça perd en intérêt, en intensité et en réalisme, donc en horreur. Vraiment dommage, surtout qu’avec ça ni le Silence des Agneaux ni les origines du mal ne sont abordés, autant ne pas faire la série si c’est pour la foirer ainsi.